jeudi 4 juillet 2019

Rock Werchter June 28th 2019


Cadeau d'anniversaire, je suis allé à Werchter, qui se trouve au nord-est de Bruxelles, vendredi 28 juin 2019. Rock Werchter est un festival qui existe depuis 1974, c'est dire si les gars s'y connaissent en organisation. Et on peut le dire, c'est hyper bien organisé. Malgré la populace, je n'ai jamais fait la queue plus de trois minutes pour choper une bière ou une frite (et ce même pour quatre bières ou quatre frites). Et pourtant, on devait bien être 80 000. Ce qui est étonnant, c'est le faible nombre de scènes : il n'y en a que quatre. La plus grande (Main Stage of course) peut être vue par tout le site, la seconde (The Barn) peut accueillir 10 000 personnes. Vous avez accès au wi-fi, à des casiers, les gens sont souriants (ce sont des Belges) et l'ambiance est incroyablement détendue. Pas un seul incident de toute la journée, pas un mec lourd, juste de la rigolade et une chaleur de plomb.

Comme toujours désormais, il n'y a plus trop de place pour l'improvisation et l'à-peu-près.  Le son n'est jamais agressif, ni trop fort ni pas assez. Les concerts durent pile les heures de programmation et tous les artistes sont hyper pros. Si vous cliquez sur les noms, vous pourrez voir les setlist des groupes et artistes. 


Weezer ont perdu leur mojo. Malgré l'alignement de tubes tirés des premiers et troisièmes albums (mais c'est le second le meilleur), personne n'y croit. Même sur The Good Life, on a l'impression de voir une copie toute propre sans rature. La dégaine de Rivers Cuomo, ses sempiternelles lunettes à grosse monture sorties des années 60, est rehaussée d'un bob de couleur indéfinie, ce qui lui donne un air de Woody Allen : triste. Seules les reprises des tubes des années 80, qui constituent l'essentiel de leur dernier album, donnent un peu à sourire.


Je ne connaissais pas Janelle Monae. Elle fait principalement de la funk à la Prince, avec des influences de Michael Jackson par moments (même si le Moonwalk c'est pas ça). C'est un vrai show à l'américaine, chaque titre est un tableau composé, chaque passage est chorégraphié, il y a pratiquement un costume différent à chaque titre, les quatre danseuses posent le rythme et Janelle chante très bien. Les musiciens sont des pointures de studio à n'en pas douter. Rien qu'à voir la mama qui tient la basse, on sait que le tempo ne sèchera pas la classe.

Contrairement à Weezer, malgré ce manque de spontanéité, ça fonctionne et je tape du pied tout le temps. Cependant, je ne suis pas sûr d'apprécier sur disque.


Bring Me The Horizon font de la soupe. Le groupe joue les méchants (le chanteur en fait des caisses sur le tatouage et les transformations physiques) mais c'est à chier, c'est de la variété pour ados américains blancs, du sous-Linkin Park (que je hais). Seul truc cool : le t-shirt Björk du chanteur.


J'avais déjà vu The Cure, une seule fois, en 2000, à Strasbourg, sur la tournée de leur album Bloodflowders. Trois heures de concert et une scène que Robert Smith ne voulait plus quitter. Ceux qui ont déjà écouté leurs albums live ou les ont déjà vus savent que le groupe ne déçoit jamais (j'ai regardé le concert de Show, enregistré sur Arte à l'époque, plus que de raison). Le gros Robert venant de passer les 60 ans, j'avais tout de même une petite appréhension, mais cela a été balayé dès le premier morceau. Et au bout de quatre titres, mêmes les peu familiers du groupe ne pouvaient que constater que ça envoyait, y compris sur une chanson aussi mélancolique que Last Dance. Et tout ça sans décor ni effets (pas de logo ou affiche immense, pas de danseurs, pas de flammes...), juste une bande de vieux : Jason Cooper à la batterie, Roger O'Donnell aux claviers, Simon Gallup à la basse et - je ne l'avais pas reconnu - Reeves Gabrels à la guitare. Le même qui officiait chez Bowie dans les années 90, féru de sons électroniques et de solos techniques. Autant vous dire que tout ça est bien solide. Un nouvel album devrait sortir en octobre et les Cure fêtent cette année leurs quarante ans de carrière : ils viennent de rentrer au Rock N Roll Hall of Fame.

Ce qui est bien mérité tant le groupe a influencé la musique au fil du temps. Robert Smith, définitivement une icône du rock, reste la seule voix de Cure depuis leurs débuts. A soixante ans, elle n'a pas changé, elle a le même timbre clair, elle ne chevrote pas ni ne s'emmêle, et durant tout le concert, chaque son est immédiatement forgé dans leur identité. Les titres choisis semblent taillés pour les festivals : sorte de mélange entre leur Concert de 1984 et le Show de 1993, le concert débute avec Shake Dog Shake, poursuit sur plusieurs titres de Disintegration, implique des morceaux de The Top, The Head On The Door, Wish... On a même droit à Push, chanson que je n'avais jamais entendue en live et qui sonne merveilleusement. Aucune chanson réellement sombre ou désespérée n'est jouée.

Qui a dit que The Cure était déprimant ? Tout le monde a le sourire, à commencer par Robert, multipliant les signes d'affection aux autres membres du groupe.

Nous avons beau être aux premières loges, nous avons faim et soif. Nous quittons le concert au bout d'une heure environ, sachant pertinemment que le groupe jouera deux heures et quart.


On en profite pour aller du côté de The Barn. Kylie est toujours une bombe atomique. Malheureusement la salle est pleine à craquer, les portes d'accès sont fermées, nous ne pourrons que la voir sur l'écran géant disposé dehors. Nous assistons aux trois premiers titres, parfaitement exécutés, où un danseur grimé en Klaus Nomi confirme le statut d'icône gay de l'australienne et où Kylie change de tenue, plus ou moins provocante, à chaque morceau. A priori, la joie domine et le son doit être assez bon pour faire danser tout le monde.


On retourne voir The Cure. C'est le rappel, composé uniquement de titres très pop, ou, comme dit Robert, comme la pop existait avant. Uniquement des tubes : Friday I'm In Love, Lullaby, Close To Me. Le public chante. Et ça se termine sur Boys Don't Cry. A aucun moment le groupe ne sonne faux, ne semble réuni pour de mauvaises raisons.

Il reste trois quarts d'heure avant la venue qui complète celle de The Cure, et nous nous dirigeons immédiatement vers l'entrée de la scène : afin d'éviter les piétinements, les scènes sont en effet découpées en zones facilement clôturables. Nous savons d'instinct qu'à l'opposé de la bande à Robert, le groupe Tool ne sera pas projeté sur les écrans géants, d'où la nécessité de s'approcher au plus près, et d'attendre... J'avais passé la semaine à réviser, puisque Maynard et sa bande n'ont plus rien fait depuis 2006. Cela me permit de me rendre compte que finalement, 10,000 Days n'est pas si mal, que le EP Opiate ne rend pas hommage à un groupe en maturation, et que Undertow a de très bons moments.


Voir Tool en concert reste une expérience ésotérique fascinante. Comme pour mes deux premières fois, celle-ci fut bouleversante. Groupe unique en son genre, soudé comme jamais, s'amusant avec les tempos et les signatures rythmiques, le metal progressif de Tool se pare d'images perturbantes et psychédéliques. Une étoile à sept branches trône au-dessus du groupe tandis que les vidéos ne s'arrêtent jamais. Le concert aura tout de même deux points noirs : la voix de Maynard n'est pas assez mise en avant, et les vidéos, contrairement aux concerts de 2002 et 2003 auxquels j'avais assisté, ne suivent pas la musique à la note près. De manière générale, elles ne sont que des illustrations, souvent sans grand intérêt visuel ni originalité.

Pour le reste, c'est comme il y a quinze ans : hypnotique, rageur, déstabilisant, le groupe possède une classe qui l'éloigne de toute autre formation, et ce malgré le t-shirt TITTIES N BEERS (Frank Zappa) de Danny Carey, le batteur monstrueux. Les seuls qui peuvent rivaliser doivent sans doute être Radiohead.

J'ai hâte que le nouveau disque sorte (fin août), mais les nouveaux morceaux joués ce soir-là furent assez éprouvants, longs et impossibles à appréhender. Ce qui est sûr, c'est que les quatre membres, chacun dans son coin, étaient heureux de les jouer. Justin Chancellor ondule pendant tout le concert (1h30), Adam Jones le guitariste perfectionniste ressemble à un scientifique et Maynard James Keenan joue au punk avec sa crête.

The Cure, Tool, la combinaison parfaite qui rassemble les anciens hardos avec les corbeaux : deux groupes stratosphériques d'atmosphères.

mardi 26 janvier 2016

Un article dont VOUS êtes le héros

Initialement publié sur Bruce Lit

44 Votre situation ne semble pas s’améliorer !

Donjon est une série finie mais pas vraiment terminée de trente-six tomes et cinq tomes bonus, tous parus chez Delcourt. La série a été traduite dans plusieurs langues, notamment en Anglais et en Tchèque.

Vous connaissez peut-être les livres dont vous êtes le héros, où l’on vous propose d’incarner un personnage qui doit faire des choix. Le principe est simple : découpé en paragraphes numérotés, vous devez décider du chemin à suivre et des actions à mener à la fin de courts chapitres. Votre personnage possède des caractéristiques, et à l’aide de dés et de règles, vous influez sur vos actions et celles des personnages non-joueurs du livre, ainsi que sur des concepts plus étranges comme la chance. Je vous invite à découvrir le Donjon de la même façon. Vous êtes prêt ? Alors affûtez vos dés à dix faces, taillez votre crayon de papier de bois, c’est parti, l’aventure Donjon commence au 1.


Quatre tours noires dont la plus haute est visible à dix jours de marche… Une porte en plomb cachée au cœur des marais infects… Des kilomètres de couloir tapissés de mousse et de salpêtre… Des échelles, des monte-charges, des escaliers jusqu’aux entrailles de la terre… C’est le donjon. 1

Vous avez mis des mois à parvenir à cet endroit où les trésors pullulent, enfin d’après les histoires de certains aventuriers que vous avez croisés dans les auberges de Terra Amata. D’autres vous ont prévenu que vous y trouverez votre perte, car ils recèlent bien plus de pièges et de monstres inamicaux que de pièces sonnantes et trébuchantes. Mais qu’importe ! Vous y voilà, vous n’allez pas reculer maintenant ! Entrez donc y occire tous les orques qui n’attendent que de se faire embrocher par votre heu… votre quoi au fait ?

Si vous avez opté pour la panoplie du barbare classique genre Conan, slip en peau de bête, bottes fourrées et épée à deux mains, vos points de vie sont égaux au résultat d’un lancer de 2D6+2 (deux dés à six faces + 2 points). Une fois notés, courez en 12.

Si vous êtes une jeune prêtresse-guerrière bardée de cuir rouge et imbattable à l’arc, vous possédez 2D6-2 points de vie (deux dés à six faces - 2 points), puis vous pourrez tirer un trait vers le 38.

Mais si vous n’avez foi qu’en la magie et les longs manteaux peu pratiques, lancez votre premier sort au 90. Par contre, vous n’obtenez que 1D6+2 points de vie.


Votre nouveau refuge évite de justesse la masse qui se trouvait au-dessus de vous. Les choses semblent se calmer, vous en profitez pour essayer de comprendre ce qu’il se passe. La surface terrestre est désormais éparpillée en milliers d’îlots comme le vôtre, de tailles et d’aspects divers. Le Donjon n’y a pas résisté et ses tours flottent autour du bâtiment principal, alors que de nombreux êtres volants (dragons mais aussi oiseaux de toutes tailles et dirigeables) s’en échappent. Vous le sentez, partout, c’est la panique.

Vos intentions initiales se retrouvent ainsi réduites au néant, vous ne trouvez pas ? Allez-vous tenter malgré tout de rejoindre le Donjon en sautant d’îlots en îlots au 10 ou souhaitez-vous trouver une autre destination au 70 ?


Après de nombreux escaliers et une sorte de monte-charge, Marvin vous amène dans une grande pièce gardé par deux squelettes. Derrière le bureau, un petit homme-oiseau fume une pipe et semble absorbé par divers manuscrits. Il ne lève même pas la tête lorsque vous entrez.

-        Bonjour Gardien, voici le nouveau préposé aux règlements intérieurs !
-        C’est bien Marvin, tu lui as déjà présenté ses nouveaux camarades ?
-        Pas encore.
-        Bon dit-il en vous fixant pour la première fois, vous aurez droit à trois jours de congé par an dès la deuxième année. Quant au salaire, il est le même pour tous, mais vous avez le droit de manger à la cantine. Bienvenu parmi nous !
-        Il n’y a donc pas de trésor ici ? demandez-vous timidement, maintenant que vous êtes devant le boss en ayant sauté plusieurs niveaux avec une déconcertante facilité.
-        Vous êtes client ou quoi ? Mon vieux, vous ne trouverez pas mieux qu’une place ici ! dit alors le Gardien, soudainement avenant.

Il semblerait que votre avenir soit tout tracé, devenant désormais un membre du Donjon à temps complet. Cependant, si vous pensez trouver de nouvelles pistes, rien ne vous empêche de recommencer au 1.


Rapide comme le serpent, vous bandez votre arc et tirez là où vos sens exacerbés vous ont informé du danger. Un râle terrible retentit alors.

-        Arrgheuflûteuh ! Ça va pas non ? Ça vous arrive souvent, de vouloir transpercer les professeurs de physique appliquée ?
-        Heu je quoi ?
-        Je ne sais pas ce que vous imaginiez, jeune donzelle, mais je n’ai pas pour habitude de tendre des guet-apens aux visiteurs du Donjon. Je me présente : Professeur Cormor, et ami du comte Hyacinthe de Cavallère.

Cormor est un grand canard très mince sous une robe de bure mitée. Il vous tend votre flèche, définitivement brisée, et ne semble pas le moins du monde incommodé par une blessure quelconque.

-        Vous venez voir le Comte ?
-        Heu… je… non je pensais trouver quelque trésor pour ma sororité.
-        Ah je vois, et bien vous vous êtes trompée, le Donjon ne possède aucune valeur à l’exception de ses nombreux habitants. Du moins actuellement.

Vous voilà un peu étonnée ! Vous aurait-on menti ? Continuez cette passionnante conversation au 71.

4 De nombreux dangers vous guettent…


Sortant la tête de l’eau, le spectacle vous laisse sans voix. Toute la terre est séparée en petits îlots flottants dans les airs, et le Donjon n’est plus qu’un amas de tours et de mottes suspendues éclatées, entourées d’objets volants divers. Les rats quittent le navire !

Désormais, plus rien ne vous oblige à aller chercher un hypothétique trésor dans les restes de ce château. Allez-vous tenter malgré tout de rejoindre le Donjon en sautant d’îlots en îlots au 10 ou souhaitez-vous trouver une autre destination au 70 ?


Je m’appelle Marvin, au fait, vous dit-il avec bienveillance, et c’est vraiment dommage que vous ne vouliez pas vous occuper de ce tableau, vous gagneriez plus à vous faire engager qu’à courir l’aventure. Ici, vous tomberez forcément sur plus fort que vous, je peux vous le garantir (le souvenir de la baffe n’est vraiment pas éloigné, vous croyez donc votre interlocuteur sur parole). Je vous disais, c’est vrai qu’on ne comprend pas cette liste d’albums avec les copains (Marvin vous accompagne vers l’entrée de la tour droite, vous aviez raison : c’est plein d’escaliers), parce qu’on est jamais d’accord sur l’ordre dans lequel il faut les lire (ça y est, vous avez commencé l’ascension. Ça risque de piquer les mollets).

Parce que voyez-vous, c’est un peu comme La guerre des étoiles : faut-il suivre l’ordre chronologique, ici représenté par le niveau de chaque album, ou l’ordre de parution, qui permet de se faire une idée de ce que les auteurs ont créé au fur et à mesure et ce qui était prévu dès le début, ou enfin lire par sous-série, restant ainsi toujours dans une ambiance particulière ?

Pour ma part, je préfère l’ordre chronologique, du niveau -400 au niveau 111. Il se rapproche de la lecture par série et permet de bien comprendre les relations et les évènements qui façonnent le Donjon et Terra Amata. Et puis, les personnages sont nombreux et leurs interactions souvent compliquées. Pour Potron-Minet, vous avez Hyacinthe de Cavallère comme personnage principal, le futur Gardien du Donjon. C’est lui qui fera, inconsciemment ou non, grandir le château de son père qui deviendra au fil du temps ce Donjon majestueux dans lequel vous vous trouvez (majestueux, sans doute, vu que vous en êtes déjà à votre 65ème marche et que cela semble encore long, pensez-vous rapidement). Il côtoie nombre de malandrins, car c’est un âge de cape et d’épée, plein d’honneur et de grands sentiments. Saviez-vous que c’était lui, La chemise de la nuit ? Le Gardien, un justicier masqué ! Il y a aussi l’intrigant chef de la police, Jean-Michel, la tueuse à gage Alexandra au corps de déesse, ses amis professeurs et notables, qui, pour ces derniers, étaient tous ses compagnons de faculté. Beaucoup travaillent pour lui maintenant, et même certains de leurs enfants.

Et puis au Zénith, il y a moi, que l’on peut voir dans Mon fils le tueur alors que je n’étais qu’un marmot, et que le Gardien était déjà un notable respecté. Et surtout, mon ami Herbert de Vaucanson, le canard qui deviendra le Grand Khân dans la série Crépuscule. Moi, je deviendrai le Roi-poussière, et je serai très respecté. Notamment parce que je gagne des pouvoirs en perdant des membres. Si je n’ai plus d’ailes, je peux lancer des Tong Deum – cracher du feu si vous préférez. Nous aurons d’autres amis, comme Pipistrelle la chauve-souris et Marvin Rouge, le vrai héros de Crépuscule, un lapin totalement purpurin honni de Zautamauxime. Vous devez connaître Zautamauxime non ? Les lapins qui y habitent ont beaux être lâches, stupides et racistes, ils font la meilleure bière de Terra Amata.

Mais pour l’heure, c’est Herbert et moi qui faisons les beaux jours de Donjon. Bien malgré nous, d’ailleurs. Herbert n’a pas l’âme d’un guerrier, il cache une enfance traumatisante, ce qui fait qu’il préfère jouer aux dilettantes désinvoltes. Alors qu’au fond, c’est un bon type, qui ferait tout pour ses amis. Moi, je suis un peu trop crédule, il faut dire que ma mère m’a bien éduqué, avec elle, ça rigolait pas ! Je suis très fort pour la bagarre, mais ma religion – je suis draconiste – n’est clairement pas au point : tenez, si vous m’insultez, je ne peux pas vous frapper ! Rapport à la fierté et au contrôle de soi je crois. C’est comme la connerie de se crever les yeux si on regarde nos propres enfants ! C’est juste pour éviter de s’en occuper que nos anciens prêtres ont créé cette loi. Enfin, il y en a qui croient encore à ces fariboles d’un autre âge, c’est désespérant (tout comme cette montée, qui arrive tranquillement à la 307ème marche).

Si vous désirez savoir où vous emmène ce grand saurien, demandez-lui au 9. Sinon, attendez de voir ce qui se passe au 78.


34 Le Gardien vous emmène en visite guidée


Vous avez raison, vous dit Cormor lorsque vous lui faites remarquer que cette carte ne retrace aucun lieu mais un ensemble chronologique. Le Donjon n’a pas de carte, du moins, je ne pense pas qu’une telle carte puisse exister, même si le Gardien en possèderait un exemplaire - ce dont je doute, les multiples transformations n’ont pas pu être toutes répertoriées, demandez à Herbert, il a découvert des toilettes bouchées de la taille d’un domaine viticole dans Des fleurs et des marmots… Le Donjon est un lieu de repère tout au long des diverses séries, même s’il devient un amas de pierres tenues entre elles par de lourdes chaînes lorsque Terra Amata explose finalement dans Crépuscule. Mais Donjon a une chronologie, une suite logique. C’est elle qui nous guide dans le dédale de ses albums, ce sont les niveaux qui nous explique dans quel monde nous nous trouvons (celui de Hyacinthe qui débute puis règne sur Antipolis, celui de Herbert jeune canard couard qui deviendra un grand guerrier, ou celui de Marvin Rouge, lapin libidineux et arrogant qui finira par comprendre que rien ne vaut l’amitié), c’est elle qui donne la conclusion, forcément un peu décevante, de la Fin du Donjon (tome 111, niveau 111).

Les personnages se battent avec le temps, puisque nous les croisons dans plusieurs séries, voyons leur évolution sans savoir ce qui a bien pu les transformer. Ils ne sont pas des conquérants, des guerriers assoiffés de reconnaissance, de terre, de royaumes, leurs missions n’ont aucun rapport avec la géographie. D’ailleurs, les lieux semblent tous être détachés d’une carte globale, on est loin du Seigneur des Anneaux et de Game of Thrones. La seule ville qui ressemble à une capitale s’appelle Antipolis, soit la non-cité si l’on décompose son nom en anti- et -polis et que l’on s’en réfère au grec.

Il est vrai cependant qu’une carte apparaît comme primordiale dans Crépuscule : la Carte Majeure. Celle-ci décrit toute la planète, qui, ayant explosé, se décompose en îlots indépendants. Cette carte place chaque îlot à une position précise et à un moment donné : elle sera avantageusement remplacée par tout ce qui peut mesurer le temps dès que l’on connaît le moment auquel l’îlot recherché doit apparaître.

Sous couvert de faire de l’humour sur le dos de la fantasy, en ridiculisant des aventuriers qui se feraient battre au bingo par des dames âgées ou en invitant le libéralisme au sein du Donjon, Sfar et Trondheim s’attachent à parler de sujets plus vastes : les mécanismes de la justice, du travail, de l’amour, du terrorisme, de la paternité et surtout de la religion sont étudiés entre autre grands thèmes. Même si elle reste ludique, la série adopte souvent un ton sombre sans aucune pitié ni pour ses personnages ni pour le lecteur, notamment dans la série Monster. Donjon ne pouvait donc pas se contenter de cartographier des lieux qui auraient pu représenter ces thèmes, comme le Mordor représente le mal dans le Seigneur des Anneaux, il leur fallait une dimension plus universelle et surtout moins représentative visuellement. Cela permet également d’expliquer que rien n’est figé, qu’un jeune canard caustique peut devenir un tyran, ou qu’une brute épaisse peut devenir un sage. Par leurs actes et les évènements auxquels ils sont confrontés, le lecteur se rend compte que rien ne s’explique simplement.

C’est pile à ce moment que vous vous demandez si ce canard va se taire un jour. Tout en vous parlant, vous vous êtes tous deux rapprochés de l’entrée du Donjon, au-dessus des douves, et vous apercevez un petit homme en grand manteau, fumant la pipe et n’ayant pas l’air commode. A coup sûr, c’est le Gardien. Assurez-vous en au 34.


Je ne sais pas encore vraiment… vous répond Marvin doucement (trop doucement selon les poils de vos avant-bras). Je me demande si je dois vous emmener voir le Gardien pour vous présenter comme le nouvel intendant des tableaux du règlement intérieur, ou attendre d’arriver au sommet pour vous faire descendre par les airs. Qu’est-ce que vous en pensez, vous ?

Qu’allez-vous lui répondre ? « Ho moi ? Une reconversion me semble tout à fait honorable dans ces conditions… » ? Dans ce cas, pensez à changer votre épée contre un tournevis en 25. Si vous préférez tenter de battre cette pipelette de dragon à la loyale ou dans le dos, rendez-vous au 14.

12 Vous arrivez au Donjon sur votre majestueux destrier


Le chemin est malaisé, imaginez : vous devez sauter d’îlot en îlot, tout en essayant de garder votre cap sur le Donjon, alors que tout est en mouvement, que les hauteurs se modifient parfois sans crier gare, et que vous devez de temps en temps essayer de grimper sur un îlot supérieur. Je sais, vous êtes un optimiste dans l’âme, mais il faut se rendre à l’évidence : vous allez finir par vous retrouver au 14.

C’est pourquoi penser à trouver autre chose qui mènerait au 70 me semble bien plus approprié. Mais c’est vous qui voyez.


On ne vous avait pas menti : la porte en plomb cachée dans les marais mène bien dans les tréfonds du Donjon ! Evidemment, il aurait été plus pratique d’avoir une torche pour vous éclairer, puisqu’il y fait plus sombre que dans un roman de James Ellroy… Heureusement, tout est prévu : vous en décrochez une quelques dizaines de mètres plus loin, après vous être tant bien que mal dirigé en tendant les bras (et touché, par la même occasion, quelques secrétions inconnues et désagréables). Désormais éclairé, vous comprenez que le sol sur lequel vous vous tenez est une passerelle de pierre entre deux tours qui plongent dans les ténèbres et s’élèvent vers un plafond lointain. Tout autour, des dizaines d’escalier, de paliers, de ponts de cordes et de murs s’enchevêtrent en un labyrinthe souterrain a priori gigantesque.

C’est pas gagné ! Si la vue vous plaît, vous pouvez toujours tenter de décrypter les runes gravées sur l’entrée de la tour gauche, au 75. Mais si vous pensez tenir une ascension de marches de longue haleine (on ne vous a pas surnommé le grimpeur pour rien !), la tour droite vous attend au 22.

22 Vous êtes sommé de composer un poème.


Cela devait arriver : à force de visiter des endroits dangereux, de vouloir se frotter à des orques sans âme et de faire des jeux de mots pourris, vous avez trépassé. Vous êtes cané, lessivé, refroidi, repassé, trépané, cuit, rôti, clamsé, fini quoi. Mais bon, rien n’est perdu ! Reprenez vos dés, votre crayon et recommencez au 1, de nouvelles aventures vous attendent ! Vous pouvez même, si vous le désirez, recommencer au dernier paragraphe qui vous a mené ici, mais dans ce cas, vous n’aurez pas la possibilité de trouver de nouveaux objets ou des informations de valeur.

Je vais vous présenter au Gardien, pardi, c’est lui qui décidera de votre sort. Après tout, vous êtes sur son domaine sans avoir été invitée et avec d’évidentes intentions belliqueuses. Mais n’ayez crainte, il est très magnanime.

A priori, le Gardien serait le petit homme avec une pipe sur le pont-levis dont vous vous rapprochez tout en écoutant Cormor. Vérifiez sa magnanimité au 34.


Un dragon relativement petit (c’est-à-dire grosso modo de votre taille) vous fait face. Il est rouge, porte une coiffe ridicule en os et ne semble pas rigoler. Il a même l’air balèze, à bien y regarder. Vous commencez à peser le pour et le contre d’une attaque frontale (soit côté coiffe soit côté cache-sexe) mais c’est à ce moment qu’il vous adresse la parole.

-        Ah ben il était temps ! Ca fait trois semaines qu’on attendait la réfection du tableau de ce niveau. Vous aurez fini quand ?
-        RRRAAAAAH faites-vous en vous ruant sur ce dragon arrogant, l’épée fièrement dressée.
-        PAF fait le dragon en vous filant une grosse baffe que vous n’avez pas vue venir. Vous n’êtes pas là pour la réfection du tableau ? Vous cherchez un trésor comme les autres clients ?
-        Mmfg oui marmonnez-vous en tentant de remettre votre mâchoire en place.
-        Aaah pardon pardon, fallait prévenir, on n’a pas l’habitude de voir des aventuriers tenter de lire les instructions du Gardien. Ce sont les règles du Donjon, remémorées avec la liste des albums de la série. Mais on n’y comprend pas grand-chose.

Ce Donjon vous semble de plus en plus éloigné de ce qu’on vous en a raconté, mais votre nouvel ami dragon va vous éclairer au 7.


Malgré votre optimisme, la terre ne s’arrête pas de trembler. Au contraire, elle semble même se fragmenter de plus en plus… Vous voilà projeté dans les airs, vous agrippant comme vous le pouvez à l’herbe sous vos pieds, invoquant tout ce qui vous est sacré et serrant les fesses, car d’autres morceaux de Terra Amata sont lancés dans tous les sens autour de vous. Et votre îlot fonce rapidement vers un autre qui semble plus lourd et donc, moins véloce !

Tentez votre chance ! Lancez deux dés : si vous faites plus de 6, vous vous aplatirez contre votre cible au 14. Si vous faites moins de 6, vous l’évitez (et lévitez) au 3.

9 Alexandra vous manque…


Parfait ! vous dit Marvin en tapant ses mains de satisfaction. Le Gardien va être content. J’aurai peut-être droit à une heure de congé aujourd’hui.

Vous poursuivez votre route dans un dédale de couloirs en vous demandant s’il ne serait pas plus judicieux d’insulter Marvin et de quitter de suite ce bâtiment infernal au 66 ou si votre nouvelle place ne mérite pas qu’on s’y attarde un peu au 4.


Le Gardien vous jauge avec méfiance (car vous aviez raison, c’est bien lui ! Votre entraînement est vraiment formidable).

-        On peut vous aider mademoiselle ? Vous voulez une place ? On manque de nourriture pour les zombies ces temps-ci.
-        Je ne pensais pas vraiment finir comme ça, je cherchais plutôt un possible trésor.
-        La parole de Cormor est un trésor en soi, mais à votre place, je foncerai troquer mon arc contre des sorts ou une grosse épée, conseil d’ami.

Et ils vous abandonnent sans autre forme de politesse. De vrais machos, ces châtelains.

Machos sans aucun doute, mais pas sans ingratitude : vous avez la vie sauve et leur conseil semble avisé ! Si vous optez pour une épée à deux mains, vos nouveaux points de vie sont égaux au résultat d’un lancer de 2D6+2, puis courez en 12. Si vous préférez définitivement tomber les armes pour un grimoire poussiéreux, lancez votre premier sort au 90 avec 1D6+2 nouveaux points de vie.


Tandis que vos pas vous rapprochent inexorablement d’un pont-levis peu accueillant, des bruits suspects se multiplient autour de vous (il faut dire que vous êtes dans un sous-bois peu éclairé). Votre entraînement de prêtresse-guerrière (le fameux Veritaserum), vous l’a appris : vous êtes suivie !

Et il vous a aussi appris comment il fallait se charger des inconvenants qui suivent les jeunes filles sans se présenter. Vous allez montrer à ce goujat votre sens de l’hospitalité ! Lancez deux dés : si vous faites plus de 6, vous pourrez ramasser le goujat au 5. Si vous faites moins de 6, rendez-vous au 89.

25 C’est parti mon kiki


Bien que vous n’ayez jamais tenté cette formule dans un tel état de stress, vous faites de votre mieux tout en perdant un maximum de mana (2 points de vie, quand même) et hurlez à plein poumons « HOR !! ». Un mur invisible vous enveloppe alors et devrait vous protéger en cas de collision ou de chutes d’objets lourds. C’est alors qu’autour de vous, Terra Amata explose littéralement, projetant des morceaux de planète un peu partout dans les airs, et vous avec ! Votre morceau de terre fonce bien malgré vous vers une masse imposante à quelques mètres au-dessus et…

…la suite ce de suspense insoutenable se trouve au 3 !


Vous voici arrivé au bout de votre périple. Ce n’est pas vraiment une fin, puisque il n’y a jamais de vraies fins, uniquement des conclusions qui peuvent changer avec le temps, mais votre voyage à travers le Donjon est ici arrivé à son terme. Rien ne vous empêche d’y retourner, d’y rechercher des sensations nouvelles ou anciennes, de l’appréhender par quel côté que ce soit : dessinateur, série, période, ambiance, chronologie. La richesse de Donjon tient non seulement dans son univers et ses personnages, mais également dans ses absences, où les histoires manquantes nous poussent toujours à imaginer, jouer avec les hypothèses et les envies. Donjon est un formidable conte pour adultes et adolescents, qui n’est jamais premier degré, se redécouvre à chaque lecture et reste une expérience unique de la bande dessinée franco-belge. Vous avez trouvé le trésor, vous pouvez rentrer triomphant !

7 La chemise de la nuit ne semble pas d’accord !


En regardant bien la carte, vous commencez à comprendre la nature multiple du Donjon. Et également pourquoi vous voici embarqué dans un article labyrinthique ! Le premier jeu de rôle à avoir connu le succès est Donjons & Dragons, de Gary Gigax et Dave Arneson, dans les années 1970. Un nouvel univers ludique en fut issu, développant les jeux de plateau (boardgames) stratégiques ou non (wargames), invitant des auteurs de SF, d’heroïc-fantasy, d’horreur et d’aventure dans le monde sérieux des jeux de société. C’est également de ce nouveau genre de jeu que sont issus les livres dont vous êtes le héros. Sur cette base de fantasy et de jeux de rôles, Sfar et Trondheim, en pleine ascension après avoir été intronisés au plus grand nombre par la collection Poisson Pilote de Dargaud, décidèrent de créer une série humoristique autour d’un Donjon, en prenant tous les clichés du genre pour les retourner avec leur ton moderne, comme si la série Friends se passait en armure.

Cela est aussi vrai au niveau du dessin. Le tout premier Donjon est Cœur de Canard, dessiné par Trondheim. Grand fan de Carl Barks, il a pour habitude de faire des albums avec des personnages aux têtes d’animaux, notamment dans sa série Lapinot. Son humour peut être franchement dynamique comme un film de Laurel et Hardy ou simplement rendu par les dialogues et les bons mots. Son trait est simpliste, une simple courbe peut remplacer deux yeux, mais il n’oublie pas les détails des décors, des véhicules, peut charger une case d’éléments quotidiens. Les personnages rappellent les bandes dessinées pour enfants du franco-belge des années 50 et 60 (comme les Schtroumpfs de Peyo), mais le décor est plus réaliste, détaillé, joue avec les ombres et les effets de colorisation numérique. On est loin d’une vision romantique et adulte de la fantasy, des dessins pleins de muscles de Barry Windsor Smith, de la poésie de la Quête de l’Oiseau du temps et de l’ironie respectueuse des Légendes des Contrées Oubliées (une série en trois tomes de Ségur et Chevalier, qui officiaient dans le principal magazine de jeux de rôles français des années 80 et 90, Casus Belli).

Mais l’univers est bien là, Sfar et Trondheim n’évitent aucun passage obligé du genre : monstres, trésors, quêtes, couloirs interminables, tours immenses, barbares, magiciens, dragons, géants, ils apparaissent tous à un moment ou à un autre. Avec la multiplication des dessinateurs, la série se diversifie de plus en plus. Sfar et Trondheim peuvent alors de parler de nombreux thèmes sous couvert d’albums uniques (la série Monster) et développer un grand nombre de personnages, la plupart apparaissant dans deux des trois sous-séries principales (Potron-Minet, Zénith et Crépuscule).

Vous le sentez, un certain mal de tête commence à vous envahir. Ces runes doivent être maudites ! Vous vous réfugiez dans une autre partie du Donjon, au 22.


Avec un grand PLOUF sonore, vous vous enfoncez dans les eaux plus profondes qu’elles n’en ont l’air de la mare avoisinante. Retenant votre souffle (ou lançant un sort de RES, - 1 point de vie), vous vous trouvez face à une petite équipe armée d’habitants des Profondeurs. Ils n’ont pas l’air très accueillant et manque de bol, vous ne comprenez rien à ce qu’ils racontent. C’est alors que tout tremble encore plus, comme si la terre avait implosé. Vous sentez que la masse d’eau bouge totalement, et que vos compagnons paniquent autant que vous.

Retournez vite respirer de l’air et admirer le nouveau paysage au 6.

50 Les habitants de la mare ne vous voient pas arriver d’un bon œil


Décidément, votre Tronsfar est rouillé ou alors il s’agit d’une autre langue écrite. Quoi qu’il en soit, vous ne comprenez rien à ces runes et vous approchez de plus en plus du mur (comme si ça allait aider) pour déchiffrer ou découvrir un quelconque artifice lorsque quelqu’un (ou quelque chose) lance un énorme « MMH MHH » dans votre dos. Glacé de sueurs froides, vous vous retournez lentement…

… et vous rendez fissa au 22.


« GROS LEZARD QUI PUE ! » hurlez-vous à Marvin avant de courir à en perdre haleine. Vous avez eu un instant d’appréhension lorsque vous l’avez crié, pensant à un piège, mais non, Marvin est là, vous fixant d’un air mauvais tout en vous regardant fuir, bouillant mais immobile.

Et bien, c’était un sacré coup de poker, mais vous vous en êtes tiré ! Cependant, vous n’avez pas réussi le quart de votre mission initiale et ressentez une certaine amertume à ce sujet. Vous allez donc sans aucun doute retourner au 1 en faisant un autre choix que celui qui vous a mené jusqu’ici.


Voyageant tant bien que mal, vous voilà sur un morceau de terre quasi désertique, ayant en son centre une petite hutte en terre, comme un igloo des sables ou une mesa mexicaine, n’ayant qu’une entrée par le haut, accessible via une échelle. De la fumée en sort mollement. Assis en tailleur devant la hutte, un draconiste vient de remarquer votre présence et vous hèle.

-        Venez donc vous asseoir avec moi, j’ai fini ma méditation quotidienne. Comment vous sentez-vous ?
-        Plutôt bien malgré les circonstances, mais j’ai un peu faim.
-        Gilberto va vous ramener quelque chose, GILBERTO ! crie-t-il soudainement en se retournant vers la hutte. Ramène quelque chose à manger, nous avons un invité. Mon nom est Orlondow, je m’occupe désormais de tous les draconistes, y compris le Roi-poussière. Est-ce que vous aussi vous cherchez les objets du destin ?
-        Les quoi ?

Orlondow vous explique alors que la terre vient d’imploser car Herbert n’est plus le détenteur des objets du destin. Ces objets sont au nombre de sept : l’épée du destin, sa ceinture du destin et son fourreau rétif, les bottes du destin, le manteau du destin, la pipe du destin, les lunettes du destin, l’anneau du destin et enfin la clé du destin. Elles ont toutes un ou plusieurs pouvoirs et des contraintes. Les posséder toutes fait apparaître l’entité noire qui prend alors possession de votre corps. Seul Herbert a réussi à tous les rassembler, et devint ainsi le Grand Khân. Ces objets, des artefacts puissants qui sont souvent l’apanage des histoires d’heroïc-fantasy, peuvent servir de métaphore des actions que tout un chacun devrait réaliser au cours de sa vie, rassemblant divers aspects de la connaissance. Sfar ayant fait des études de philosophie, Donjon tend souvent à avoir un sous-texte fort, toujours interrogateur et pertinent. Comme les objets du destin donnent des pouvoirs, Donjon rejoint les meilleures histoires de super-héros, celles où des questions sur la responsabilité de chacun sont soulevées. Cormor est un des personnages les plus humains de la série, alors que sa nature d’automate devrait l’en épargner. En tant que quasi-robot, il a besoin d’une flamme de vie (fournie par un démon très ancien) afin d’obtenir une conscience, même s’il lui est impossible de mentir, comme dans les lois d’Asimov qui définissent les règles de la vie artificielle. Cette flamme de vie comme métaphore de ce qui pousse chaque être vivant à avancer n’est pas nouvelle (on la retrouve dans Blade Runner notamment), mais comme tous les autres concepts présents dans Donjon, elle trouve sa place naturellement. Le format hors-norme de la série lui permet d’être développée continuellement et graduellement. Pour les objets du destin, c’est encore plus flagrant : leur quête devant prendre plusieurs vies, ils n’apparaissent que sporadiquement à certaines périodes, passant de mains en mains, devenant un lien et un moyen de conclure correctement la série. Sfar et Trondheim utilisent toutes les ficelles classiques des scénaristes, et ça marche. Il fallait bien ça pour tenir plus de trente albums sur une décennie avec une vingtaine d’auteurs.

Gilberto appelle Orlondow avec une pointe d’urgence dans la voix : les esprits seraient en train de s’éveiller. Il se retourne vers vous et vous annonce une des plus étranges énigmes qu’on vous ait posées :

-        Si vous voulez trouver une conclusion à tout ça, additionnez le nombre de planches d’un album de la série Parade au numéro de niveau de l’album Retour en fanfare. Il vous donnera le dernier paragraphe. Bonne chance et à bientôt !

Voilà le bout du labyrinthe ! Avez-vous trouvé la réponse à l’énigme ? Si oui, vous trouverez la conclusion de l’article, sinon, ou si vous préférez encore explorer cette toile d’araignée, rendez-vous au 1.


70 L’attaque des centurions est furieuse ! (en bas à droite, le numéro de la planche : 5030)


Sachez, vous dit Cormor en se dirigeant vers le Donjon, que cette série est partie de l’idée de faire une épopée parodique du genre de l’heroïc-fantasy. Très rapidement, Sfar et Trondheim décidèrent de découper la série en sous-parties et de s’octroyer chacun le dessin d’une de ces parties, à savoir Zénith pour Trondheim et Crépuscule pour Sfar. Zénith, comme son nom l’indique, traite des heures de gloire du Donjon, celui où son aura lui permet d’attirer nombre d’aventuriers en quête de frisson, l’époque des batailles barbares et des monstres gigantesques, la fantasy dans ce qu’elle a de plus emblématique. Crépuscule, elle, relate la chute du Donjon, où il n’est plus que ruine, où Terra Amata ne tourne plus sur son axe, la planète étant coupée en deux : le jour infini sur une moitié, la nuit éternelle sur l’autre. La mince bande de terre entre ces deux parties étant nommée Crépuscule. C’est une série bien plus adulte, mélancolique, qui traite du temps qui passe et des amitiés qui se délitent.

Mais, jamais à court de folies, Sfar demanda à Trondheim d’initier une nouvelle série, se passant avant Zénith. Ce sera Potron-minet, une vieille expression signifiant « de très bon matin » ou « dès l’aube ». Pour cette dernière, Christophe Blain fut désigné comme dessinateur attitré. Le concept, alors, prit totalement forme : la première planche du premier tome de Zénith (l’album numéro 1) est numérotée « 1 », puis chaque album suit la numérotation. La première planche du second album est donc numérotée 49. Pour Crépuscule, le premier tome est le numéro 101, ses planches sont numérotées sur plusieurs milliers. Pour Potron-Minet, le premier album est le -99, le second le -98 etc… Ses planches sont donc elles aussi numérotées sur plusieurs milliers, mais en négatif. Les caractéristiques ne s’arrêtent pas là : chaque série voit son titre finir systématiquement par la même sonorité : -ui pour Potron-Minet (Une jeunesse qui s’enfuit), -ar pour Zénith (Un mariage à part), -on pour Crépuscule (Armageddon), -o pour Parade (Technique Grogro) et -eur pour Monster (Des soldats d’honneur).

Parce qu’évidemment, ayant alors en tête les 300 albums de Cerebus, la série monumentale de Dave Sim, Sfar et Trondheim s’apprêtent à sortir trois cents albums, cent dans chaque série. Mais comme ils ont nombre d’amis et qu’ils ne peuvent pas tout dessiner, ils demandent à d’autres dessinateurs de faire des épisodes centrés sur des personnages secondaires. C’est la série Monster, où Blutch, Bezian, Andreas (celui de Rork et Capricorne) ou encore Killoffer vont illustrer des albums majeurs, lisibles même sans connaître le monde de Donjon. Pour leur ami Larcenet, ils créent la série Parade, dont les évènements se déroulent entre le tome 1 et le tome 2 de Zénith. Celle-ci propose des albums de 36 planches uniquement, et est totalement humoristique, ce qui est loin d’être le cas pour les autres. Et bien évidemment, il y aura des bonus, le nombre de participants montant en flèche chaque année depuis le début de l’aventure : des albums en noir et blanc au tirage limité, une intégrale de Parade et un livre de jeu de rôle dans l’univers du Donjon, Clefs en main !

Pour s’y retrouver dans cette pléthore d’albums, chaque titre se passe donc à un certain niveau. Par exemple, le Monster de Bezian, Des soldats d’honneur, est de niveau 95, soit six niveaux avant celui du premier Crépuscule. Cela leur permet également d’initier quelques trilogies : par exemple, les albums Armageddon (un Crépuscule par Sfar), La carte majeure (le Monster de Andreas) et Le noir seigneur (le Monster de Blanquet) se passent en même temps selon les points de vue de trois personnages différents, et ont donc tous le même niveau, le 103.

Le temps passant, même les séries régulières changèrent de main : Trondheim abandonne Zénith au profit de Boulet, Sfar laisse Crépuscule à Kerascoët, puis à Obion, Alfred et Mazan, et Blain lègue Potron-Minet à Christophe Gaultier. Ces changements tendent à vouloir garder une certaine cohérence graphique, comme si chaque série avait sa propre bible. Alors que les Monster offre une vision d’auteur de l’univers, chaque dessinateur n’ayant qu’un album à réaliser, avec sans doute moins de contraintes, puisque les personnages principaux y sont souvent moins représentés.

Contrairement à Cerebus, la continuité globale de Donjon est fragmentée au travers de tous ses âges, ce qui forme la création de trous dans l’histoire, parfois béants. C’est un peu comme Star Wars. Pour cette raison, les fans prirent vite d’assaut le monde de Donjon pour en développer des parties inédites : ce furent la création des sites Donjon Pirate puis Donjon Pirate Pirate.

Et bien vous allez de surprise en surprise ! Vous pouvez vous référer au parchemin que vous tend Cormor, qui résume toutes ces insanités sur la carte portant ce numéro de paragraphe. Une fois que vous l’aurez bien appréhendée, vous pourrez soit interroger Cormor sur cette carte originale en vous rendant au 8, soit essayer d’en savoir plus sur la suite des évènements au 15.

71 La fameuse carte du Donjon vous est révélée.


Le texte semble être du Tronsfar ancien, autant dire que le vôtre est rouillé depuis le temps que vous traînez les bouges plutôt que dans les bibliothèques (tout le monde se fait du souci pour votre mère qui s’angoisse pour sa progéniture, mais a priori ça ne vous dérange pas… enfant indigne que vous êtes). Mais vous finissez par comprendre qu’il s’agit d’une liste. La liste des albums du Donjon !

Voilà une information ô combien intéressante ! Mais qu’allez-vous en faire ? L’utiliser comme une carte pour vous y retrouver dans ce dédale de couloirs, ponts et pièges au 44 ? Ou l’apprendre par cœur pour en faire un mantra qui vous permettra de réduire vos adversaires en gelée verte informe au 60 ?


Vous semblez enfin arriver au sommet de la tour ! Vous seriez presque reconnaissant, vous étant arrêté de compter à la 663ème marche.

-        Et bien merci de m’avoir accompagné, mais je vais devoir me passer de vous maintenant, vous dit soudainement Marvin.
-        Pardon ?

Trop rapide pour que vous ne puissiez dire « CRETIN DES ALPES », il vous empoigne par la taille et vous balance du haut de la tour. Vous atterrissez douloureusement au 14.

89 Par malheur, vous voilà attaquée par un brou !


Il semblerait que vous manquiez de chance… et votre cible ! Malheureusement pour vous, il s’agit d’un brou, tranquillement occupé à maltraiter un grand canard en robe mitée, et cette espèce de bouc humanoïde possède une force considérable mais aucune considération pour les autres espèces vivantes. Lancez deux dés pour vous et deux dés pour le brou : si vous faites plus que lui, vous lui retirez trois points de vie, et le coriace en possède 20. Sinon, vous perdez quatre points de vie. Recommencez ainsi, jusqu’à ce que le brou tombe à 3 points de vie, auquel cas il s’enfuira. Si par contre, vous perdez tous vos points de vie, rendez-vous alors au 14. Si vous sortez victorieuse de ce combat, vous apprendrez que le canard que vous venez de sauver d’une mort certaine s’appelle Cormor et qu’il vous fera la conversation au 71.


A peine avez-vous commencé votre périple vers le Donjon que la terre se met à trembler. Vous aviez des doutes, n’entendant pratiquement plus un seul animal depuis une bonne dizaine de kilomètres, mais là, c’est sûr : une catastrophe est imminente.

L’heure est déjà grave ! Pensez-vous qu’un plongeon dans la mare non loin au 50 sera moins risqué qu’une tentative de lancer un sort de protection au 40 ? A moins que vous ne pensiez que les choses vont se tasser tranquillement au 23.

 
42 Marvin Rouge est possédé par l’Entité Noire…


1. Ce texte introductif est de Sfar et Trondheim, dans la première planche du premier tome paru de la série, Coeur de canard.