vendredi 25 juillet 2008

Dans l'utérus


Longtemps que je n'avais pas réécouté mon Nirvana préféré. Que ça fait du bien. Pourquoi In Utero surpasse allégrement Nevermind ? Parce qu'il est plus varié et cependant plus cohérent. Nevermind aligne les titres comme des tubes, mais attention hein, de bons tubes (On A Plain, c'est du sérieux), alors que In Utero creuse, cherche, tente de rassembler les Melvins et Robert Johnson, les Beatles et Sonic Youth. En voilà un vrai album : un début, un milieu, une fin, des moments forts, des moments calmes, sous une seule volonté : tout donner.

Le choix de Steve Albini à la production se montre payant. Qui d'autre aurait pu capter l'énergie de ces trois punks ? En laissant les pics, les trucs qui dépassent, au lieu de les lisser, il offre à Cobain le son dont Nirvana avait besoin pour cotôyer ses modèles. Paradoxalement, on trouve du violoncelle, judicieusement placé lui aussi : il supporte All Apologies tout en ajoutant à la discorde des paroles.

J'aurai aimé un autre album après celui-là. Sûr qu'il aurait poussé l'expérimentation. Sûr qu'il aurait invité Beck et Thurston Moore, pour enregistrer des cassettes en train de fondre, tout en jouant sur une note, comme lui aurait soufflé Brian Eno, tandis que Buzz Osbourne aurait joué du larsen : de la guitare sans les mains. Il se serait appelé De Profundiis. Il aurait libéré le chanteur, assagi le batteur, il aurait été violemment rejeté par nombres de journaux, il aurait fait soulever l'enthousiasme d'autres publications. Il manque un album, au moins un.

- Jyrille

Contre-avis
Le problème avec Jyrille, c'est qu'il écrit ses chroniques sous l'influence d'une substance altérant l'esprit (composée de trois lettres mais je sais plus lesquelles, MST ou NRJ). Rien que l'idée d'un album produit par Eno avec Osbourne et Beck en guests fait froid dans le dos, mais passons.

Surtout que Jyrille a raison, In Utero est le meilleur opus du trio braillard. Pourtant, ce disque est foireux, bancal, mal fichu. Le pire y cotoîe le meilleur sans gêne aucune. Pour une merveille de nervosité hérissée (Radio Friendly Unit Shifter, probablement le meilleur titre qu'ait composé Cobain), faut se fader un tourette's ou un Scentless Apprentice (bordel, une chanson tirée du Parfum, vous savez là, le bouquin chiant de Süskind), imbuvable malgré les efforts de Dave Grohl. Et si Serve the Servants voit le combo bluesifier son discours, Very Ape ou Milk It ne sont que des redites inintéressantes.

En étant généreux, la moitié du disque se tient. Après tout, c'est toujours plus que Bleach ou Nevermind (Incesticide étant une compilation, il ne peut être jugé comme un album en soi). On saluera la tentative de renouvellement mais il est permis de préférer d'autres groupes de la même époque plus talentueux.

Disclaimer : Pour les fans de Kurt, les messages d'insultes à mon égard sont à rédiger dans les commentaires. Merci

- Intrautérine Rainbow


Armatures


Voilà un patronyme qui donne correctement le ton : Oceansize (la taille de l’océan). On sait que là, soit il s’agit de pure prétention affichée, choisie comme un nom de personnage dans Donjons et Dragons (les affres de l’adolescence, les jeux de rôles à pseudo-vivre avant d’oser demander à Karine si elle veut bien sortir avec moi), soit il provient d’une caractéristique, musicale ou littéraire, qui démarquerait le groupe de la masse. Pas facile. Bon, les gars, on fait des titres de dix minutes, on essaye de monter la sauce sur la fin, certaines intros ne seraient pas reniées par Robert Smith, et si on s’appelait King Cure ? Nan ? La mer ? Mmmh, on tient ptêt un truc…

Car les vagues de ce Frames semblent ne jamais échouer ; alors oui, bien vu les gars. Au-delà d’un rock progressif qui aurait pris comme unique référence la carrière de King Crimson, qui s’efforce à rester moderne mais toujours dans un développement de thème, Oceansize intègre les boucles de guitares de Mogwaï à ses parties épiques, transformant Commemorative 9/11 T-shirt en longue intro, construisant Savant sur de menues lignes rythmiques pour terminer sur des cordes briseuses d’écume.


Ajoutés à quelques parties pêchues autour de vraies mélodies vocales, nous voilà devant de bien belles plages. Non pas assemblées à partir d’éléments divers formant un décor disparate (une épave par ci, des algues par là), mais façonnées par des remous réguliers et un vent changeant. Espérons qu’ils gardent le cap.


jeudi 24 juillet 2008

Drapeau rose


Punk. Ce mot merveilleux, dont la paternité reviendrait à Lester Bangs, ne semble être né que pour être déformé, tordu. Il est un réceptacle perpétuellement ouvert. Sa brièveté, après une décennie de délires flûtistes hippies, de rock progressif ampoulé, de jazz libre, de blues usés et de funks (tiens ?) interminables, coupe toute velléité pour foncer sur l’essentiel (dunk ! nan je déconne).

Pink. Le rose, couleur de toutes les transgressions, montée fièrement en drapeau sur la pochette (aussi froide que la musique qu’elle recouvre), annonce un punk arty. Ici, les onetwofreefour popularisés par Joey Ramone sont scandés en français, les refrains disparaissent, les titres peuvent descendre sous la minute, c’est comme ça, on a une idée, on va pas la faire durer sur quarante-huit mesures, punkt.


Arty (ou intello, ou avant-gardiste, c’est selon) n’est, ici, pas un vain mot. En bons Anglais élevés aux Beatles, Wire tire des mélodies imparables (Fragile ou Ex Lion Tamer), mais pas que. Ils inventent la noisy (Pink Flag), invitent Television et le Velvet Underground (Strange), précèdent la cold-wave (Lowdown), multiplient les riffs parfaits (Three Girl Rhumba).


Mais comme tous les grands disques, il ne se délivre pas à la première écoute. Même si ils ne s’étendent que sur trente-cinq minutes, les vingt-et-un moments (peut-on parler de « chanson » ou de « morceau » lorsqu’une intro puis qu’un couplet forment un titre ?) qui fondent ce premier album demandent à être compris avant d’être chéris. Ni vraiment punk, ni vraiment pop, l’expérimentation de Pink Flag ouvre des brèches. Ce disque est donc essentiel. Point.


mercredi 23 juillet 2008

Au coin


Les vacances. Vous avez posé les bagages, rempli le frigo, organisé les chambres, préparé la bouffe, c’est l’heure de l’apéro près de la piscine. Pour pouvoir tranquillement discourir et raconter des conneries, On the Corner s’installe en bande-son festive. Lorsque soudainement, les percussions métalliques et la guitare funky de John McLaughlin donnent envie de se trémousser, entre verres et éclats de rire. Quelqu’un dit GPS. C’est quoi déjà ? La nuit tombe, personne ne s’en aperçoit, une énergie inconnue s’empare de toute la bande, à la fois moite et précise, tranchante et pourtant humide, chaude, moelleuse.

Une pause clope s’impose. Ca tombe bien, ces tablas qui déboulent en introduction de Black Satin. Mais bon, l’heure est à la fête, c’est reparti pour une mélopée endiablée, sortie d’un rite vaudou, la magie empeste, en moins de temps que l’idée ait germée, vous vous retrouvez à patauger en slip. Aucune importance, tout le monde en est là.
D’où provient cette insouciance terrible, qu’arrive-t-il à mes muscles ? Comment James Brown a-t-il perdu la voix, transformée en plainte cuivrée, étendue à l’infini, rebondissant sur un rythme faussement régulier ?

Le disque est fini depuis longtemps. Pourtant il résonne encore. Il encercle la table, il tape au creux du ventre, il a pris le pouvoir, il fait copuler le blanc, l’indien, l’africain, la rue, le club, la fumée, la viande, le cri, le métal. Sans aucun heurt.

Au retour, On the Corner re-tourne sur une platine quelconque. Révélation : Miles fait revenir l’été. Il l’a capturé.