vendredi 11 décembre 2009

Tout nu et botté


J'ai déjà parlé du leader Buzz Osborne des Melvins, ici, et si vous aimez les manèges à sensations et la saturation, je ne saurai que vous conseiller de vous ruer sur son groupe originel et culte (The Melvins, donc). Groupe très productif et toujours très confidentiel malgré ses vingt ans et des poussières de carrière, car n'ayant jamais émis la moindre concession. Entre expérimentations sonores à la limite du supportable et métal joyeux, entre country pour rire et riffs décalés, le tout sous une chape de plomb-marque de fabrique, on a toujours fait ce qu'on a voulu, chez les Melvins. Même si finalement, leur son est reconnaissable immédiatement et qu'à la suite de sorties incessantes d'albums, leurs morceaux semblent être toujours les mêmes, les idées tombent rarement à plat. La preuve dans ce Nude With Boots de 2008, ni le meilleur ni le pire, juste un bon disque qui propose l'avantage d'être assez simple d'accès. L'âge, sans doute. En tout cas, un bon début pour s'initier.

Folle de rage de les avoir loupés aux Eurockéennes de Belfort suite à une programmation défaillante, la groupie hystérique en moi ne rata pas l'occasion de courir les voir dans une petite salle où à peine deux cents personnes s'étaient déplacées pour l'occasion. En première partie, Porn, un groupe français que je ne connais ni d'Eve ni de Rocco, et sur lequel je vous invite à faire des recherches vous-mêmes, car je n'en ai franchement pas le courage, là. Du coup, je n'ai vraiment pas compris qui étaient les membres de cette première partie muette mais sonique. Un type entre en scène, enfile une guitare, se place devant une console et commence à triturer moults boutons et potentiomètres, ce qui nous gratifie de serpents dignes de Jesu, vire psychédélique, et dure un bon quart d'heure. Sur quoi arrivent un bassiste et deux batteurs, dont Dale Crover, la machine métronomique pleine de technique des Melvins. Ah ? Sympa, hé. Surtout que ça tombe bien : les deux batteries sont au milieu de la scène et partagent des cymbales. Crover est droitier, sa batterie est à gauche de la scène, tandis que son comparse est gaucher, son kit à lui est donc à droite. Et ils jouent de concert (huhu). Ou se partagent les tâches. Ca tabasse sec après une intro pleine de coups feutrés sur les cymbales, partis pour deux fois vingt minutes de métal basique mais planant : la répétition et les serpents tournoient dans l'air. Ca commence bien, même si personne ne cause. Pause.

Puis arrive King Buzzo (à un mètre de moi, je souris bêtement béatement), encore plus gros, sa tignasse grise toujours folle, drapé d'une robe de bure noire ornée d'un étoile entre les pieds, sa guitare entièrement argentée tranche dessus. Dale Crover reprend sa place. Et sans pédales d'effet ni archet ni jeux de lumière clinquants, les Melvins canal historique singent les White Stripes ou les Black Keys en enchaînant une dizaine de titres très courts, se partageant même le chant. Rigolo. Mais bon, manque le son, quand même. Manque la lourdeur. Mes craintes disparaissent lorsque le second batteur revient (mais est-ce le même ?), affublé d'une robe hindoue, accompagné d'un autre bassiste perruqué barbu à chemise hippie. Et c'est reparti pour une petite vingtaine de minutes de tabassements. Et nom de dieu ce que ça joue, ça aligne les breaks pas évidents et les ambiances poisseuses, ça improvise aux batteries pour enchaîner les titres, les quatre zouaves alignés chantent tous, transpirent tous énormément, mais jamais ne semblent s'ennuyer. Puis Buzzo lance "We'll be right back". Pause deux.

Retour des quatre mêmes, cinquante nouvelles minutes de titres assemblés comme des Lego, aucun temps mort, juste un arrêt pour que nous chantions tous un joyeux anniversaire à Garreth (je crois), le roadie, attrapé et jeté par terre par le hippie alors qu'il venait de se faire piéger par le bassiste (c'est le même pour ceux qui suivent pas) qui avait soi-disant un problème d'ampli. Car oui, on sait aussi rire chez les Melvins. Ca se termine sur une impro à deux batteries, pas d'embrassades, pas d'adieux déchirants, pas de ce n'est qu'un au revoir, juste un peu plus de deux heures trente de sons. Pour vingt-deux euros (je balance, ouais, parfaitement). J'ai peut-être bien fait de les louper aux Eurocks finalement. Et pour finir, une phrase à cliquer pour avoir une idée de ce que je viens de relater.



lundi 2 novembre 2009

The little red rock book


C'est vrai, ceci n'est pas un disque. Mais il serait tellement dommage de passer à côté de ce livre que je ne peux m'empêcher de vous en parler. Surtout qu'il vient d'être réédité, avec trente planches supplémentaires, et que j'hésite carrément à me l'offrir une seconde fois. Hervé Bourhis a fait des miracles, il a réussi à stigmatiser l'esprit rock dans cet épais livre au format d'un 45 tours, Le petit livre rock. Un historique décliné en pochettes, logos, portraits redessinés, agrémentés de courtes légendes très justes. Une liste non exhaustive mais pertinente, subjective, drôle, le contraire d'une liste des mille meilleurs albums de rock, et ça, ça fait du bien.

Je pense que pour l'instant, cette suite d'illustrations (ce n'est pas de la bd même si quelques strips parsèment l'ouvrage) est ce que j'ai pu voir et lire de meilleur sur le sujet. En enlevant l'analyse et les discussions interminables, Bourhis s'attarde sur les à-côtés, l'histoire, replace les disques dans leur contexte, et arrive ainsi à retracer l'évolution des moeurs et des sentiments partagés au XXème siècle. Il va plus loin en en disant moins. Et surtout il n'y a aucun parti pris, nous permettant de nous retrouver aussi à travers les découvertes de Bourhis et ses changements de look. Même si je ne partage pas tous ses goûts et que certains de mes chouchous ne sont pas cités, il en arrive néanmoins à parler de tous les genres, tous les styles, et élargit le rock à sa vraie nature : non pas un style musical précis dont la définition serait tirée d'un dictionnaire ("n.m. Genre musical basé sur un orchestre composé d'une guitare , d'une basse électrique, d'une batterie et d'un chanteur"), mais bien un esprit artistique décliné en d'innombrables courants. Rien que pour ça, ce livre mérite le respect.

Dans un autre genre, plus disparate puisque collectif, n'hésitez pas non plus à vous jeter sur Rock Strips, plus orienté bd mais très bien documenté et surtout intéressant pour la vision personnelle des auteurs sur un de leur groupe fétiche ou qui les a marqué. D'autant plus agréable que les Rolling Stones y côtoient LCD Soundsystem. Vivent les mélanges !

vendredi 31 juillet 2009

Un juste avertissement


D'aussi loin que je me souvienne (c'est-à-dire l'école primaire, à peu près), j'ai toujours détesté les manifestations machos empreintes de la loi du plus fort, du meilleur, du plus grand. Autant dire que les héros de la guitare ou plutôt les hérauts de la guitare, ça convient bien mieux, m'ont toujours laissé froid. Qu'est-ce que ça peut faire de pouvoir faire deux cents notes à la seconde et d'avoir des doigts de trente centimètres de portée ? Et tout ça, c'est de ta faute, Jimi Hendrix. Ils n'ont vu en toi qu'un phénomène de foire, en oubliant que la musique était surtout portée par le coeur qu'on y mettait, et la nonchalance à faire sonner juste (et puis bien sûr ils ont oublié ta voix chaude que je trouve toujours touchante, les nuls). Alors bien sûr, un minimum de technique est requise, et plus la technique est bonne, plus les notes viendront facilement. Mais voilà, les gars en récré, ils grandissent sans mûrir, ce qui a pour conséquence qu'ils adorent les types qui font des trucs incroyables avec une guitare dans les mains. Pfff.
Du coup, lorsque Eddie Van Halen a débarqué, on eut droit à une horde de hardos qui eurent leur dieu à vénerer, celui qui avait pondu Eruption. Eddie, c'est le plus fort, et pis en plus, il fait un truc de fou, il tape sur sa guitare avec ses doigts, ça fait un son, t'y crois pas, incroyable le nombre de notes, la vitesse de dingue qu'il a ! Trop bien, je vous le dis, les gars, ça c'est du rock.

Et mon cul c'est du poulet.

Trente ans ont passé, il est donc temps de réhabiliter Van Halen, le groupe. Pour plusieurs raisons : David Lee Roth (qui est l'instigateur de ce nom), leurs compositions, leur humour, leur bonne humeur et la durée de leurs disques. Inutile de dire qu'après la période David Lee Roth, il ne faut rien garder. Et je suis indulgent, vu que leur sixième et dernier album ensemble, 1984, est catastrophique.

Les albums de VH (j'ai la flemme, ok ?) durent en moyenne trente-cinq minutes, ce qui permet, premier avantage, d'en écouter d'autres, et, deuxième avantage, de ne pas trop lasser. Surtout qu'en général, on y trouve des reprises de tubes des années 60 (le Pretty Woman de Roy Orbison, le You Really Got Me des Kinks, par exemple), des interludes guitaristiques rarement ennuyeuses ou creuses, plutôt motivées par l'expérimentation et la recherche (comme Spanish Fly sur leur second album bien nommé II ou encore Cathedral sur Diver Down), des chansons où le groupe tourne au jazz de la Nouvelle Orléans ou décide de faire du Platters, et enfin des choeurs tout le temps. Mais tout le temps, sur tous leurs titres. Et on appelle ça du hard-rock - laissez-moi rire.

Alors pourquoi choisir ce Fair Warning pour parler de ce groupe mésestimé (surestimé d'un côté tout ça parce que les gars des récrés, hein, et haï de l'autre car justement, les gars des récrés, en face, ils comprennent rien à Joy Division, les nuls) ? Parce que, petit un, c'est leur meilleure pochette. Petit deux, ils perdent sur celui-ci la légèreté qu'ils affectionnaient jusqu'à lors, deviennent un peu sérieux : pas de reprise, pas d'interlude ici. Et petit trois, il s'agit de leur album funky : la basse n'a jamais été aussi présente, la batterie si relativement modeste et la voix de David Lee Roth plus sensuelle.

Non, vraiment, un panthéon et des prix d'excellence pour ce groupe ne sont pas nécessaires. Mais comme récré, on a rarement fait mieux.

Et pis tiens, petit cadeau, ça me fait plaisir.


mercredi 24 juin 2009

Vierge à nouveau


Si j'avais des lettres, je citerai Oscar Wilde, je paraphraserai Rimbaud, afin d'étayer mes propos sur la jeunesse. Celle sortie de l'adolescence, surtout, toute folle, sa puissance incontrôlée, toute l'énergie qu'elle peut engendrer. J'en étais là quand ce Going Blank Again d'un autre quatuor anglais (Ride pour les citer une bonne fois) débarqua chez moi. Eux non plus n'avaient pas trouvé de canalisateur, tout jeunes et beaux qu'ils étaient, heureux, enthousiastes tels des enfants à la plage à s'amuser avec les meilleurs jouets du monde : guitares, amplis, pédales d'effets et toms-toms.

Comme toute fougue juvénile, Going Blank Again pourra générer de l'agacement, dû à un manque de profondeur, une musicalité peu recherchée, avec des voix de filles (mais en fait, ce sont des garçons romantiques) qui ne disent pas grand chose - c'est-à-dire ce qu'on veut bien entendre. Soit. Ce serait oublier deux titres pop directement inspiré des Beatles, les Fab Four incontournables, et huit autres où la grandiloquence véhémente des Who côtoie des sous-riffs de Sonic Youth. Plutôt que de se poser et de poser, une seule règle semble régenter ce disque : l'urgence. Vite, bientôt je saurai faire des solos, vite, je saurai même utiliser un clavier, vite, avant de me transformer en cliché du rock and roll forcément malhonnête.

Alors, musique basique, wah-wah et flanger à bloc, lalala aigus, batteur déchaîné, ça vole pas haut ? Si. Parce que loin de tout produit formaté. Parce que sans calcul, parce que brut malgré une production aux petits oignons. La jeunesse dans ce qu'elle a de meilleur : vivante. Vierge de tout doute, timidité, cruauté, ignorance, souffrance. Un lumineux hommage aux écrits de ces lettres que je ne possède pas.


lundi 1 juin 2009

Floue


Tout arrive. Même l'achat d'un Blur, à la grande surprise de mes amis - j'avais encore réussi à les estomaquer, des fois je m'épate tout seul. Alors que je croyais ce groupe perdu pour le bon goût, leur Parklife mêlant trop d'influences anglaises pour ne donner qu'une poignée de jolies pistes, il vira de bord avec ce Blur bien nommé. Sans doute perturbés par l'écoute de Pavement, et sans doute usés par la tournée d'un Great Escape vendeur mais ô combien soporifique, nos quatre Anglais décident donc, en cette fin d'année 1996, de faire du lo-fi, avec titres sales et saturation omniprésente. Mais pas que.

Plutôt que de refaire le coup de Parklife et de parodier tout ce que l'Angleterre a engendré comme styles musicaux, Albarn et ses copains s'achètent une virginité et une sincérité : autant le punk Bank Holiday semblait anecdotique et figé, autant le Chinese Bombs ici présent ressuscite le Clash des débuts. Beetlebum s'impose comme un single étonnant au riff ni trop alambiqué ni trop classique, Song 2 le rageur finira d'imposer la nouvelle image d'un groupe qui a tenté le tout pour le tout. Aucun titre superflu, chacun dans son rôle (electro, hypnotique, quasi instrumental...), chacun donnant les clés de la nouvelle demeure de Blur, du côté des Etats-Unis : même celui qui sonne le plus britpop s'appelle Look Inside America.

Non seulement ce disque est très très bon, mais en plus, il est une leçon. Il n'en est pas le seul exemple, mais il illustre parfaitement ce courage qui paie, celui de se montrer sous son vrai visage. Quitte à être flou.



mardi 7 avril 2009

Fin de mission


1. Ennio Morricone Le casse
2. Pixies Winterlong
3. The Beatles Helter Skelter
4. Monk & Canatella Elephant
5. Brian Eno On Some Faraway Beach
6. The Magnetic Fields All My Little Words
7. Beirut Scenic World
8. Frank Zappa Satumaa (Finnish Tango)
9. Sonic Youth Wildflower (live)
10. dEUS Memory Of A Festival
11. The Streets It Was Supposed To Be So Easy
12. Gainsbourg New-York U.S.A.
13. The Dirtbombs Ode To A Black Man
14. The Who Odorono
15. The Nits Umbrella
16. James Brown That's Life
17. Serge Teyssot-Gay Les cabinets
18. Herman Düne Not On Top
19. Queen It's Late
20. Sid Vicious My Way

http://rapidshare.com/files/218660935/findemission.zip.html

samedi 4 avril 2009

A chaque minute désormais

J'adore danser. Ce qui est dommage, c'est que je ne sache pas. Mais grâce aux frères Dewaele, j'oublie la honte et la pudeur de faire trop mal aux yeux de mes semblables, et je danse seul, chez moi, avec ce Any Minute Now.

Premier album de Soulwax post-2 Many DJ's (leur terrain de jeu des dancefloors, passant à la moulinette Kylie Minogue et les Stooges dans des mix improbables), les frères Dewaele ont ici décidé de devenir de néo-New Order, en délivrant de la dance-rock, pleine de guitares dévastatrices sur des rythmes uniquement destinés à faire suer. Parfois à la limite de l'electro, saturée de distorsions et de machines torturées, la musique de Soulwax n'est pourtant jamais ennuyeuse ou bordélique. Car basée sur les mélodies. De vraies chansons drapées de bijoux flamboyants. Des boules à facettes intelligentes.

Et au mileu coule une ballade, interlude bienvenu : avec un piano et une voix, à peine soulignés de guitare tordue, il devient évident qu'on sait écrire, chez Soulwax. Avant de repartir vers le bar à cocktails. Comme si n'importait que la ferveur des corps, l'album pousse à se trémousser, à oublier le triste et beau - comme si ces deux adjectifs ne pouvaient exister qu'ensemble - et prouver que le tchak-poum-poum de base de la disco peut lui aussi posséder sa beauté, sa vérité : on conclut en affirmant que The Truth is So Boring.

Face à ces spots chauds et énergisants, remplis de watts et de "what", je perds toute contenance, je me fantasme en DJ qui passerait la quasi totalité de cet album devant un parterre de danseurs mouillés : que ce disque se démocratise, trouve la place qu'il mérite. Et enfin, de ne plus danser seul sur E Talking.


mercredi 25 mars 2009

Oui Nouvelle York


En bonne caricature, j'adore faire des compiles. Des compilations, quoi. Prendre un bout de caoutchouc-reggae et le coller à un bout de chewing-gum-pop pour goûter si ça peut s'écouter, si on peut créer son propre chemin, son album personnel. La matière abondant, l'exercice, infini, comble de nombreuses aspirations : d'abord la compile n'est jamais gardée pour soi. A la rigueur, je garde juste la liste et l'enchaînement des titres, je pourrai la refaire. Mais elle n'a pas but de venir grossir les rangs des vrais disques, ceux faits par de vrais musiciens, pas par les fans sans talent. Non, je la crée - souvent dans la douleur - pour la donner, partager, communiquer. Mon auditeur connaîtra non seulement mes écoutes du moment mais en plus il connaîtra mon humeur. C'est souvent plus parlant qu'une soirée complète autour de la table du salon. Parler musique, c'est comme décrire une sculpture ou une maison de maître : c'est frustrant. Autant qu'essayer d'expliquer comment ces six derniers mois ont influé sur mon état. Alors qu'avec un peu de boulot, on résume ces six mois en une heure et quinze morceaux.

Ensuite il ne faut surtout pas négliger l'aspect créatif. A chacun ses règles, à chaque compile son défi. Elle peut être thématique (le cinéma, les morceaux faits avec des cris de chameaux, les meilleures reprises de mai 1985, liste sans fin), elle peut ne recenser que des singles, tout sauf des singles, être par ordre alphabétique, chercher les meilleurs enchaînements improbables (free-jazz suivi de punk suivi de chant grégorien), varier au maximum les genres ou au contraire les réduire. Rien que choisir la forme prend un temps fou. Alors chercher les morceaux qui vont correspondre... Cela dit, parfois, de l'urgence naît un album superbe qui fera un tabac. Et pas seulement en enquillant les tubes potentiels. Magnifique hasard.

Enfin - et pourtant, c'est souvent le but premier -, les compiles font découvrir ou redécouvrir des petites perles. Du moins, les perles que l'on a choisi. En isolant une chouette chanson noyée dans un album sirupeux, on peut redonner une nouvelle vision à un groupe qu'on croyait déchu voire perdu, on condense une carrière, on fait pivoter des abeilles méritantes autour d'une ruche conséquente - les quatre morceaux fédérateurs encadrant l'impro de quinze minutes -, mettez-moi de la disco après ça et si ça marche, je suis le roi. Parce que après le boulot, il faut bien le regarder : il sera réussi ou raté. Et s'il est réussi, on a le droit d'être content et de demander une gratification (bière, statue, statut, le plus souvent un simple compte-rendu détaillé plage par plage suffira).

Alors qu'en est-il de ce Yes New York (je n'ai malheureusement pas écouté son pendant, No New York, mais j'aimerai bien), une compilation de 2003 qui s'est efforcé de saisir l'air du temps de Big Apple ? Plus recherchée que la plupart des albums de magazines (ce qui est logique, allez pondre une playlist par mois avec les albums du mois sans être complètement bancal), elle nous apprend que le rock new-yorkais ou assimilé d'il y a six ans penchait pour le retour des années 60 et 70 et 80. The Strokes y dansent comme Otis Redding sur une bande-son des Who tandis que Interpol s'autoproclame phénix de Joy Division et Radio 4 celui de Gang of 4, alors que Lcd Soundsystem et Le Tigre mélangent le disco à l'electro. Ces noms bien connus côtoient d'illustres groupes obscurs qui valent pourtant parfois le détour. Bien sûr tout ne sera pas au goût de tous, mais la variété est présente, la découverte est présente, le thème est présent, la qualité est présente, bref, elle fait partie des compilations réussies.

Je devrais sans doute faire des compiles ici-même. J'y penserai. En attendant, voici un aperçu de celle de Yes New York.


vendredi 30 janvier 2009

1979


1995 fut l'année des Smashing Pumpkins - entre autres, bien sûr, mais bon, là, y a pas à dire, ce fut aussi leur année. Rarement un groupe aura été aussi prolifique en si peu de temps. Comme s'ils avaient été propulsés trente ans en arrière, quand les sorties d'albums avaient lieu tous les six mois, les Citrouilles furent pris d'une logorrhée créatrice que rien ne semblait endiguer : un double album de 28 titres et cinq maxis comportant au total 28 titres inédits. Soit 56 morceaux. Et je dois en oublier. Et je dois ignorer les nombreuses digressions qu'ils ont du effectuer en concert ou en répète.

Parce qu'on le sent bien dans leur Pastichio Medley, le titre de 23 minutes qui compile une cinquantaine de riffs enregistrés de-ci de-là, en sessions d'enregistrements et en répétitions, que les Smashing forment un groupe qui s'amuse. Même si Billy Corgan mène son monde à la baguette, ça n'hésite pas à balancer la sauce ou à s'auto-hypnotiser, et encore, il manque les pauses-reprises de Van Halen, les changements d'instruments et de rôles, les choeurs rigolards.

Un double album, donc, en sortit, fatalement bouffi de partout : rien que l'idée de faire un double est gonflée, casse-gueule, prétentieuse. Et pourtant, Mellon Collie And The Infinite Sadness restera le plus abouti, le plus fou, le plus varié, le plus intense, le plus expérimental et le plus brillant de leurs opus. Et comme si ça ne suffisait pas, comme si au final ils auraient du sortir un quadruple album, ils alignent les maxis plein de pépites, de reprises improbables, de versions nues. Et ce n'est pas fini.

Car pour clôturer le tout, ils accèdent avec 1979 au sommet de l'écriture, quand enfin le droit vous est accordé de graver votre nom aux côtés d'autres très prestigieux, les noms de ceux qui ont accouché d'un tube imparable qui ne se contente pas d'être entêtant. Comme souvent chez les Smashing, la joie prédomine 1979, celle de l'insouciance, comme une petite soeur de Today. Mais la nostalgie guette - le titre lui-même n'est pas un hasard - et l'urgence de vite aligner les états d'âmes prend le pas sur la retenue ou le calcul commercial, comme une grande soeur de Today. Un titre éternel et universel, une grâce, simple et évident, mais disposant d'un quota magique supérieure à la normale.

Alors pour le simple plaisir de constater que cela fonctionne toujours et que je raconte pas de conneries, voici le clip, qui est aussi réussi que la chanson qu'il illustre, et toutes les pépites qu'il serait dommage de ne pas écouter.



mardi 20 janvier 2009

Chahuuut de rue


Souvent, les disques obscurs promettent de belles surprises. Impossible de rentrer dedans mais quelque chose d'indéfinissable retient l'attention. Peut-être le son, ou certains enchaînements, ou des harmonies inédites, en tout cas, un détail. Ou l'ambiance générale. Mystère. A l'opposé, les disques immédiats promettent de belles déceptions. Ce n'est pas toujours le cas, bien sûr.

Et puis il y a ce Street Horrrsing, première oeuvre d'un duo que je qualifierais aisément d'expérimental. Immédiatement accrocheur malgré ses préceptes étonnants. A savoir : de la musique électronique instrumentale comportant un minimum de variations et de changement d'accords, de longues nappes tantôt éthérées tantôt bruitistes (j'ai lu le mot "drone" quelque part), des percussions sourdes toutes droit sorties d'une jungle africaine et des cris étouffés pompés sur le pire disque de black-metal existant. Vlà le mélange.

Cela semble improbable, pourtant ça marche. Mieux que ça : j'en redemande. Car malgré le peu de changements, les mélodies existent et gagnent en force grâce à leur rareté. Elles deviennent évidentes, de cette évidence qui pousse à l'interrogation (pourquoi j'ai pas entendu ça avant ? POURQUOI ??). Au lieu d'insérer un titre caché en fin d'album, après une minute ou une demi-heure de blanc, les Fuck Buttons ont créé l'ultime morceau fantôme, celui qui chapeaute les autres, qui n'existe qu'à la septième ou dix-neuvième écoute, qui ne peut être découvert qu'après une initiation dévote et dévouée. La marque des grands comme on dit.

Et comme le plus simple est encore d'en avoir un aperçu, rien de tel qu'un petit lien.


mardi 6 janvier 2009

Conquérant


On a tous nos petites manies, nos petits rituels. Ainsi, lorsque il m'arrive de haranguer la foule, toute ouïe et fascinée par ma voix profonde et mes yeux de velours, le promontoire sur lequel j'asticote et me trémousse se doit de mesurer au minimum 1,34 m, la température extérieure ne doit pas excéder 30 degrés Celsius et ne pas être inférieure à 18, je dois porter mon pancho vert aux rayures noires et ocres, et enfin, la sono en dolby 5.1 doit balancer le Conqueror de Jesu.

Et pas seulement parce que le dernier groupe de Justin Broadrick sert mon propos. Bien sûr, le groupe a un nom de prophète, bien sûr, la musique a tout de liturgique, bien sûr les paroles appellent la pureté, supplient l'âme - la plupart du temps en deux phrases répétées longuement - et célèbrent le repentir, le don, le remerciement. Il m'aide bien, quand je hurle de ne pas se perdre soi-même, quand je demande à notre mère la Terre de nous pardonner. Mais c'est égoïste. Si ce doit être ce disque, c'est surtout parce que malgré sa tristesse et les nappes de synthé interminables pleines d'échos, il redonne surtout ses lettres de noblesse à l'accord. La note. Avec minimalisme, Justin Broadrick joue plus des pédales d'effets que de la guitare, laissant celle-ci à son rôle premier : des suites d'accords simples, qui forment de superbes mélodies, des harmonies gracieuses, leur laissant tout le temps qu'il faut : huit titres en soixante-quinze minutes.

Malgré le mur sonore qui englobe ses chansons, reléguant la batterie en agglomérat de poufs bariolés (oui, c'est ça, comme l'immense Loveless de My Bloody Valentine), les ritournelles s'accrochent, la maison devient cathédrale, l'eau s'évapore, en voiture tout le monde. Même si j'ai envie d'être égoïste.