lundi 8 novembre 2010

De station en station

Je vous présente ma monomanie du moment. Un disque de 1976, le dixième de son auteur, un vieux disque en somme, y compris pour Bowie, puisqu'il ne s'agissait pas non plus d'un essai. Rares, très rares sont ceux qui dans le rock ont accouché d'un dixième (ou d'un septième ou sixième) album qui soit aussi important, que ce soit pour son créateur ou pour les mélomanes. Et ce n'est pas nouveau, les Beatles n'en ont même pas fait dix. Même si en ce moment, j'ai l'impression que c'est pire. Regardez par exemple Arcade Fire, un groupe qu'on aime porter aux nues. Trois albums seulement en quoi, six ou sept ans. Et on pense déjà qu'ils sont peut-être finis, que l'aventure va s'arrêter. Bref, voilà une preuve de plus que Bowie est un extra-terrestre.

Je connais Station To Station depuis quinze ans, je l'écoute plutôt régulièrement, mais à l'occasion de sa réédition avec le live au Nassau Coliseum du 23 mars 1976 il y a peu, je l'ai redécouvert. Ca ne me pose pas de problèmes, au contraire. J'ai bien découvert Depeche Mode en 2001, Neil Young en 2007 et Prince cet été. Attention, quand je parle de découverte, je parle de comprendre ou du moins d'appréhender une oeuvre, un artiste, pas de n'en avoir jamais entendu un titre ou entendu parler. Par exemple, si vous pensez connaître Gainsbourg sans jamais avoir écouté son Histoire de Melody Nelson, alors vous ne connaissez pas Gainsbourg, pas vraiment. Je vais donc immédiatement vous donner la morale de cette chronique : ne jetez pas vos vieux disques avant de les avoir réécoutés au moins une fois.

J'ai toujours aimé Station To Station, mais à l'époque Wild Is The Wind ne me parlait pas. Je me disais "ça y est il fait son crooner, il se la raconte, le David, là, allez coco, je remets la première de dix minutes, celle-là est spéciale". Alors oui, la chanson titre de dix minutes est spéciale, mais finalement Wild Is The Wind l'est aussi. Parce que c'est une reprise, déjà, et puis parce que Bowie y fait plus que le crooner : il interprète. Avec une totale conviction, preuve qu'il ne pouvait faire qu'un bon acteur, à l'instar de Jacques Brel.

Et me voici donc non plus devant un album qui n'était qu'une prémisse de son (à mes yeux) plus grand disque (le très instrumental Low), mais devant son complément, celui où Bowie ne fait pas que redéfinir la funk, un album où il se transforme en chanteur. Libéré de ses oripeaux glam, de ses doppelganger Aladdin Sane et Ziggy Stardust, de ses attributs de rock star, de compositeur de tubes, d'icône bisexuelle, Bowie se montre simplement en costard. Et chante. En Thin White Duke, un nouvel avatar... mais d'où sort-il, cet avatar ? D'un roman de Chandler, d'un film de Bogart ? Aucune idée, ma culture s'arrête rapidement. Ce n'est pas un nouveau personnage que Bowie crée ici, mais plutôt une nouvelle musique. Le groupe nouvellement composé qui l'accompagne ici participera aux quatre albums suivants, autant dire l'intégralité de la période la plus recherchée et avant-gardiste du charismatique dandy. Des musiciens précis et flexibles, ouverts et plein d'idées, comme on en trouve chez Zappa.

Vous connaissez ces critiques qui décortiquent chaque titre d'un album ? Celles qui désossent complètement pour en faire une description complète, que l'on sache ce que l'on écoute ? Je déteste ce genre de chronique. Et pourtant j'ai très envie de le faire. Car ce ne sont que six titres et trente-huit minutes. Mais de ce genre de minutes qui altèrent la réalité. Soyez gentils, suivez les liens. Les dix minutes de la chanson titre sont folles, et les vingt-huit qui suivent ne sont pas en reste, il y a le choix : des ballades ténébreuses, de la funk cadrée incendiaire, de la chanson potache, des ponts en apesanteur. Un seul mot définit ce disque (et le concert bonus ne fait que le démontrer) : classe.

PS : Vous avez peut-être remarqué (mais franchement ça m'étonnerait) que je fais référence ici à des disques dont j'ai déjà parlé ailleurs sur ce blog, à chaque fois en comparaison ou en lien, ayant sans doute trop peur de m'y frotter. Ceux qui retrouvent les articles concernés auront toute ma considération.

jeudi 14 octobre 2010

Golf



Playlist pour un neuf ou dix-huit trous :

1. Prince 1999
2. Stevie Wonder Sir Duke
3. David Byrne & The Dirty Projectors Knotty Pine
4. Eels That Look You Give That Guy
5. The Paper Chase This Is Only A Test
6. Dark Night Of The Soul Just War
7. PJ Harvey Dear Darkness
8. Joe Henry Civilians
9. Serge Gainsbourg Monsieur William
10. Pulled Apart By Horses High Five, Swan Dive, Nose Dive
11. Quasi Ape Self Prevails Me In Still
12. Helms Alee A New Roll
13. One Day As A Lion Wild International
14. Jawbox U-Trau
15. Ultra Vomit Boulangerie Patisserie
16. Liars Scissor
17. Qui Echoes
18. The Shins New Slang
19. Heatmiser See You Later
20. Joseph Arthur There's A Light That Never Goes Out

vendredi 30 juillet 2010

Ecartelé par des chevaux

Voire même écartelé par les chevaux en furie des quatre cavaliers de l'Apocalypse. Parce que ça tabasse sévère, en Angleterre, sur ce Pulled Apart By Horses du groupe du même nom (Pulled Apart By Horses, vous l'aurez compris). Ce qui est à la fois bien et pénible, avec ce disque et donc ce groupe, c'est que je suis incapable de trouver à quel courant, genre, style, il appartient. Quelle étiquette lui coller. Et rien que pour ça, c'est remarquable. Pourtant, rien d'extravagant ici. Pas de psychédélisme ou d'instrument exotique, pas de longues plages torturées ou incompréhensibles, pas de titre qui mélange les influences reconnaissables, et pourtant, pas de sonorités inédites. On me souffle que cela ressemble à The Bronx, mais je ne connais pas. Donc, tout de suite, un exemple de Pulled Apart By Horses, à savoir un des titres que je préfère. Comme ça, vous savez tout de suite de quoi on parle.

Alors ? Vous voyez ça comment ? Comme un Enter Shakira (humour) qui aurait dégraissé sa partie neo-métal (ou nu metal, peu importe, c'est trop bête, le néo-métal, sauf les premiers Korn et les Deftones. Je vous reparlerai des Deftones, un jour.) ? Comme du punk de base ? Comme du hard rock qui aurait oublié ses solos ? Du hardcore qui ne sonnerait pas salement ? Du noise qui ne serait pas vain ou prétentieux ? Du pub-rock énervé ?

Personnellement, je n'en ai aucune idée. Et c'est bien, parce que les étiquettes, c'est pratique au lavage, mais ça gratte au portage. En s'affranchissant d'un mode d'emploi, Pulled Apart By Horses deviennent totalement libres. Y compris de faire une pochette illisible qui devient lisible dès lors que l'on sait de quoi il s'agit. Ils ont tout compris, eux : faire ce pour quoi on est bon sans essayer d'y réfléchir. Etre évident. Atteindre ce luxe n'est pas simple.

Ah, au fait, apparemment, Thom Yorke (le chanteur de Radiohead, pour les retardataires) a sorti un titre, ou un album, appelé Feeling Pulled Apart By Horses. Je tiens à préciser qu'il n'y a aucun rapport avec ce disque. D'ailleurs je ne sais pas de quoi il s'agit, puisque à mes yeux, Thom n'a de vraie valeur qu'avec ses amis. Et c'est tant mieux aussi.

J'ai arrêté le compte de mes "et c'est bien'', parce qu'il n'y a pas grand chose à ajouter. Ces Anglais peuvent plaire ou pas, mais j'y entends de belles choses, héritées ou non. Tout ce que je constate, c'est qu'il tourne souvent en ce moment. C'est donc forcément bien : j'ai une très haute opinion de mes oreilles écart(el)ées.

PS; mon ami Zok, que vous pouvez lire ici, me donne une très bonne définition de ce que sont nos PABH : "A l'écoute ça me donne l'impression que j'avais quand des mecs plus âgés que moi allaient en Angleterre quand j'étais ado voire moins, et qu'ils me faisaient écouter les vinyles rapportés. Une espèce de truc indéfinissable que t'avais jamais écouté avant, une sensation étrange, je sais pas expliquer. Je retrouve ça avec ce morceau."


mercredi 24 mars 2010

Alors c'est ça ?



Qui dit rock dit rébellion, jeunesse, colère, changement (ou du moins sa recherche). Mais ça, c'était dans les années 60, voire 70 avec le punk, depuis, c'est plutôt désillusion et désenchantement. Il a fallu atteindre le rap (le vrai) pour que cette rébellion ait du sens à nouveau.

C'était bien sûr sans compter sur les grands distributeurs, producteurs, propriétaires, qui ont directement senti la bonne affaire. Depuis Elvis the pelvis, c'est comme ça : soyez aussi glamour, proposez une image. De préférence rebelle. Qui effraie le bourgeois (The Rolling Stones) ou pas (The Beatles). Que les jeunes puissent rêver, s'identifier, acheter des disques. Rêver de groupies hystériques, d'orgies interminables, de communier dans un stade. Jagger, Richards, Lennon, McCartney sont devenus des prêtres d'un genre nouveau, dignes de l'empire romain. Lennon avait raison, les Beatles étaient plus populaires que le Christ. Charlie Watts (batteur des Rolling Stones de son état) aussi avait raison : autant la musique est super, autant le cirque engendré est agaçant.

Autre constante d'un groupe qui marche, il faut un manager. Une sorte d'entraîneur, de coach - pour parler comme en 2008 - qui cadrerait tout ce petit monde bien turbulent, qui en sort ce qu'il peut y avoir de meilleur et veille au grain, metteur en son et parent attentionné.

Malheureusement, on ne change pas une équipe qui gagne, et la recette perdure depuis. Exemple : Oasis.

Habituellement, je n'aime pas parler des groupes que je n'aime pas. Quel intérêt ? Certains aiment, soit, voilà, c'est une question de goût. On va dire. Alors, profitez-en, je vais déverser mon fiel et ma bile sur ce groupe qui a déclenché un raz-de-marée de disques mous, consensuels, sans intérêt (mais pas sans intérêts, ah ah. Pardon.), et qui sont portés aux pinacles par les rock-critics et les magazines anglais.

Dans mon souvenir, Oasis est le premier groupe estampillé indie / relève / nouvelle génération, (quoi que ces étiquettes puissent dire) créé de toutes pièces qui soit affiché comme un vrai groupe de rock, avec ses rebelles, ses guitares sans concession, son attitude faussement hautaine, ses fringues mod(e)s (on voit même un scooter dans le livret de leur premier album) et son accent à couper au couteau. Un vrai condensé de Sex Pistols (autre groupe monté de toutes pièces), The Who, The Jam, The Rolling Stones... un cliché ambulant en somme. 100 % british. Ce que les frasques du duo de frères caché sous cette appellation de Oasis confirment, plus occupés à plagier T-Rex (Cigarettes & Alcohol) et se payer des jets de télé par la fenêtre qu'à chercher un quelconque sens à leur musique : un amour du cirque rock, plutôt. Premier titre du premier album : (I'm a) Rock'n'roll Star. Si c'est pas donner le ton, ça.

Bref, je hais Oasis (bien qu'ils aient commis quelques titres corrects qui marchent très bien en soirées, mariages ou pas), ce qu'ils représentent, ce qu'ils sont : des poseurs, attirés par le clinquant, si stéréotypés qu'ils en deviennent honnêtes. Après tout, c'est tout bénef pour la maison d'édition. D'authentiques losers d'une typique cité anglaise industrielle en friche, fans de foot, des Beatles, des Stone Roses, de lager et de bastons du samedi soir, propulsés du jour au lendemain futur du rock. Tout le monde est content, même aux mariages de jeunes branchés.

Alors que j'adore ce premier album des Strokes, Is This It ? Ca partait mal. Ils étaient affublés de tout ce que Oasis portait : les tenues vestimentaires à la mode du moment (le leur), le line-up classique (un chanteur deux guitares une basse une batterie), un son daté mais pas rétro, plutôt dans l'air du temps, et une réputation unanime de futur du rock. Mouais mouais mouais. Et pourtant il ne m'a pas fallu plus de deux écoutes pour me rendre compte à quel point j'avais eu tort de me méfier. On en revient à cette étrange chimie qui fait que malgré les mêmes apparats, il peut sortir de la marmite soit de la bouse soit de l'ambroisie. Ou alors s'agit-il simplement des compositions elles-mêmes ? De l'inspiration ? De leur guru, dont le portrait de hippie fatigué côtoie ceux des jeunes hypes au milieu du livret intérieur ?

Peut-être est-ce dû à la colère, aussi. Celle de Is This It ? n'est pas évidente. Non, au premier abord, on serait plutôt en face de tristes gens de vingt ans mais qui aimeraient bien se lâcher. Qui se lamentent joyeusement, cherchant le point commun entre Bob Marley et les Who mais incapables de faire du reggae ou d'imposer un son de stade (on n'est pas chez Muse Queen). Qui reprennent en filigrane, dans le chant légèrement nonchalant de Julian Casablancas le ton du Iggy Pop au sein des Stooges, le premier punk : négatif et énervé. Qui sonnent comme une répète enregistrée plutôt qu'un produit de studio bien arrondi, un groupe sans effets, sans chorus ni reverb.

Avec la fin de 2010, nombreux sont ceux qui ont fait un bilan de cette première décennie. A chaque fois ou presque, Is This It ? était bien placé. Tout le monde peut sentir la fulgurance de ses onze titres qui allient modernisme, un son immédiatement reconnaissable, des mélodies évidentes mais inédites. Ce dernier adjectif est peut-être celui qui les sépare de Oasis. Ou alors c'est trop subjectif, il s'agit d'honnêteté. D'intégrité, même en pactisant avec les marionnettistes. L'image est bien le plus difficile à gérer. Vive la musique qui s'en affranchit.

mardi 23 février 2010

Un jour tout cela pourrait t'appartenir


Encore un groupe inconnu, encore un disque attrapé au hasard ou presque, et encore une fois, une surprise généreuse, en forme de boucle. Fortement typé formation canadienne, The Paper Chase rappelle Arcade Fire, les cabarets de Hawksley Workman et la richesse de Broken Social Scene.

Maintenant, faudrait juste vérifier que ce sont des Canadiens...

What the fuck, peu importe, voilà dix titres plus rageurs que ceux de Arcade Fire et qui croulent sous les idées et les mélodies. Même quand ces dernières sont maltraitées, le dérapage reste sous contrôle, fond doucement dans des transitions qui me semblent - pour l'instant - obscures mais qui doivent avoir une bonne raison d'être là. Tout comme cette étrange pochette. Comme ces petits riffs incongrus qui pimentent les titres mais sont indispensables.

Encore soixante-treize écoutes et peut-être bien que j'irai chercher leurs précédents disques (car ce Someday This Could All Be Yours Vol. 1 date de 2009, et ouais, et ouais), et d'autres albums des Autumns aussi, allez, ne soyons pas frileux, soyons curieux, ouverts, et surtout, sans préjugés (comme si, par exemple, vous n'aimiez pas Arcade Fire. C'est pas grave, The Paper Chase, c'est différent). Sinon comment pourrait-on découvrir de telles pépites ?


dimanche 31 janvier 2010

Faux bruit provenant d'une boîte de jouets


J'ai un gros ego. Ou alors c'est juste que je me protège de plus en plus, je me fixe des oeillères, je ne m'intéresse plus aux gens que je ne connais pas et que je ne rencontrerai jamais, qui peuvent secouer tous les médias pour des raisons diverses mais ayant un point commun : l'actualité. Les informations sont trop tristes pour être prises au sérieux.

De la même façon, je ne suis plus automatiquement à la trace tous les artistes qui traversent mes oreilles ou mes yeux. Fut un temps où je chassais les carrières, écoutais tous les albums solos de n'importe quel membre d'un groupe qui m'était important, connaissais toutes les notes de pochette, citais tous les titres de mémoire. Désormais je préfère adorer un disque tout seul dans mon coin et ne pas savoir si les gars et les filles qui y officient sont de petits nouveaux ou s'ils ont déjà vingt-trois albums à leur actif. Je trouve ça sain, de couper l'image du son. Ca évite les mauvais procès. Mais j'y reviendrai, pour dire du mal, pour une fois.

Là je n'ai aucune envie de dire du mal de Fake Noise From A Box Of Toys, un album de The Autumns, des types et sans doute des filles que je ne connais pas du tout. Ni d'où ils viennent, quels sont leurs autres disques, s'ils ont splitté ou pas, si ils naviguent dans une certaine communauté, si ils sont appréciés ou non. Je ne suis tombé que sur une chronique de blog, que j'ai oubliée, sauf la note : dans les soixante pour cent. Comme je déteste mettre des notes, je peux comprendre celle-ci, mais de mon point de vue, cette pop un peu bruyante qui peut sembler complètement banale, totalement dans l'air du temps, qui pourrait donner du "oui ok mais bon, j'ai du lait sur le feu" a pourtant plus de qualités qu'elle en a l'air. A commencer par son batteur, inventif à souhait, jamais hors sujet, plutôt comme une seconde voix. Du coup la musique de The Autumns me semble bien plus ciselée. Et c'est comme ça pour tout : les choeurs, les mises en place... les petites originalités s'accumulent. Cela en devient unique.

A partir de ce moment, ils ont gagné ma confiance, je leur fait de la pub, je réécoute régulièrement ce disque, je ne les oublierai pas. Mais la partie est finie, car l'angoisse pointe. L'angoisse de la déception. Trop peur d'être déçu ou moins enthousiasmé par leurs autres disques. Trop peur de perdre mes illusions. Trop peur d'être trahi une fois de plus. Armure enfilée, casque enfoncé, je peux continuer à aimer The Autumns et leur Fake Noise... Rien ne dit que je ne vais pas craquer un jour. Mais pour l'instant, on ne bouge pas. Parce que des fois, il vaut mieux ne pas savoir.