mardi 13 novembre 2012

Cheval blanc



Beaucoup de mots qui paraissent à la fois évidents et utilisés presque quotidiennement me sont souvent incompréhensibles. J'ai beau les connaître et les entendre, je ne sais jamais de quoi il retourne. C'est le cas avec le mot "mode". Pas lorsqu'il est utilisé par les informaticiens et les inexactement assimilés gamers et forumers, je veux parler de la mode qui remplit les relais de gare de magazines photos superficiels et de pop-rock formaté. C'est pourtant simple : la mode impose des goûts et des attitudes à suivre (y compris dans la réflexion personnelle, les idées) sous peine d'être rejeté. Le pire étant que les mêmes représentants d'une mode peuvent se contredire dans un très court laps de temps, voire s'opposer uniquement pour se démarquer et ainsi créer une nouvelle mode.

Je ne vois que deux synonymes possibles : ostracisme et intolérance. Voilà pourquoi je déteste la mode, qui touche tout le monde, à tous les niveaux. C'est une chaîne supplémentaire et totalement acceptée que tous s'infligent. N'y a-t-il rien de plus vicieux ?

A la fin des années 90, la mode du rock était au nouveau métal (autrement nommé neo-metal ou mieux, c'est plus fashion, le nu-metal). De quoi s'agissait-il ? En gros, de musique un peu agressive ayant intégré un look de rastafariens, viré les solos de guitare, et se posant sur des rythmes moins martiaux. Un mélange de hippies et de hardos, essayant, via des types de rebelles passés, d'enfanter un mutant sorti des X-Men qui serait le rebelle des années 2000. L'histoire a prouvé le contraire, et j'en suis fort aise. Comment imaginer qu'une accumulation de clichés pouvait fournir une idéologie ou même une idole en laquelle croire aveuglément, devenir le porte-parole d'une génération ? Encore eût-il fallu trouver un leader charismatique, mais même celui qui s'en approchait le plus (Jonathan Davis, le chanteur de Korn) n'a pas réussi à faire oublier qu'il était également un nom sur un contrat, malgré un très bon clip engagé.

Tous les groupes associés à cette mouvance ne sont pas mauvais, loin de là. Mais il est difficile de les réécouter aujourd'hui, car comme toute mode, elle a souvent vieilli. Malgré une obsession pour le son (la production devait être impeccable voire clinique, ce qui me paraît absurde pour un groupe de rock dédié à faire du bruit sur scène) et une volonté d'être absolument irréprochable en tout point (technicité, mises en places, attitude scénique, pensée unique...), les disques de neo-metal souffrent affreusement de fond, de personnalité et de vision. En un mot : c'est daté.

L'autre credo de cette mouvance, influencée par l'inimitable Mr Bungle, était la surprise nécessaire à chaque nouvelle mesure : passer du hard le plus lourd à un jazz tortueux pour dix secondes, avant d'en remettre une couche. Ce qui est imbuvable si vous n'êtes pas monstrueusement doué. Incubus, un groupe pour les filles qui ne le savait pas encore, a très bien intégré cette figure de style. Mais eux-mêmes ne seront jamais plus efficaces et honnêtes que lorsqu'ils font de la samba. L'ayant vite compris, ils ont filé dare-dare (bien vu les gars).

Seuls deux groupes ont réussi à dépasser le format pour offrir un rock plus intemporel : Korn (au moins dans ses trois premiers albums) et les Deftones.

Déjà à l'époque, les Deftones affichaient leur amour de la new-wave et proposaient un son différent, influencé par Depeche Mode et New Order. Leur second album s'éloigna de la ligne droite du nu-metal en intégrant des expériences rythmiques plutôt que sonores, et abandonnant un chant scandé à la Daffy Duck pour des plaintes et des hurlements à la longueur inhabituelle. On se serait preque cru dans un album des Smashing Pumpkins.

Plus malins que les autres, Chino Moreno et les siens comprirent qu'ils ne devait pas suivre, mais affiner leur style. Ce qu'ils font dans ce White Pony, leur meilleur album, enfin, pour moi en tout cas. Parce qu'il est plus varié que n'importe quel album de Limp Bizkit, mais sans vouloir surprendre à chaque refrain : du métal entêtant et hurlé, des riffs efficaces, des chansons calmes, des ambiances electro rappelant soit le trip-hop de Portishead soit la cold-wave de Joy Division, et même un duo avec celui qui a surpassé Jonathan Davis en charisme : Maynard James Keenan, le chanteur du groupe de métal progressif Tool (complémentaire aux joyeux Deftones, Tool a réussi à cultiver son aura mystérieuse en imbriquant des musiciens très techniques à une musique obscure et déroutante au premier abord).

Le seul caprice sera celui d'une édition multiple, avec une piste supplémentaire pour au moins deux de ces publications (la rouge et la noire). Ce titre (The Boy's Republic) me semble indispensable. Il conclut sur une note positive, loin de l'assomoir sonique qu'est Pink Maggit, un morceau en deux parties, commençant comme une longue plainte mélancolique avant de devenir une ritournelle hypnotique et rageuse ; on est loin des canons qui avaient eu tant de succès auprès des snowboarders sur les pistes blanches (mais noires).

Au revoir les bières, au revoir les rastas, au revoir les poses engagées. J'espère qu'aujourd'hui, les Deftones célèbrent leurs parcours en buvant du Cheval blanc entre deux tequilas.

mercredi 24 octobre 2012

The Brotherhood of Dada



1. David Sylvian Sugarfuel
2. The Autumns Only Young
3. The Only Ones Another Girl, Another Planet
4. Oui oui Les cailloux
5. The Organ A Sudden Death
6. Firemouth Change
7. Bob Mould Briefest Moment
8. Metz Rats
9. Fuck Buttons Rough Steez
10. Genesis It
11. The Flaming Lips featuring Henry Rollins Time / Breathe (Reprise)
12. EMA Anteroom
13. The Dismemberment Plan Spider In The Snow
14. Big Star Morpha Too
15. Etta James Anything To Say You're Mine
16. James Brown aka the desinvolteThe Payback
17. Dirty Beaches True Blue
18. Noir Désir Là-bas
19. Neurosis Bleeding The Pigs
20. Sleater-Kinney Heart Attack


jeudi 22 mars 2012

Jour de colère


Faire du rock, c'est facile. Je sais de quoi je parle, j'ai moi-même (maître du monde) joué dans plusieurs formations. Enfin, jouer, c'est un grand mot pour mon niveau, puisque je suis de l'école Sid Vicious : aucune formation musicale. Appris sur le tas, grâce aux copains qui montrent quelques plans, expliquent les bases, donne des conseils et des exercices pour travailler. Quel que soit l'instrument (de rock basique, je précise, guitare basse ou batterie voire claviers) que vous choisirez, après un peu d'entraînement et quelques semaines à se faire mal aux doigts aux bras et aux jambes, vous pourrez commencer à jouer (en petit). Oubliez de suite les solos de Jimmy Page ou de John Bonham, concentrez-vous sur l'essentiel : faire sonner le bouzin.

Parce qu'après tout, parmi mes groupes favoris, certains ne savent pas jouer : The Velvet Underground, Joy Division, Pavement, Sonic Youth... Le punk ne vient-il pas de là, en réaction à tous ces types qui font du rock progressif (souvent ampoulé, rempli d'arabesques complexes à reproduire), à ceux qui se lancent dans des solos interminables de blues-rock, à ceux qui groovaient pendant des heures sans se lasser ? Le punk dit non au formatage, non aux études (ou alors "non aux studieux"), c'est pas parce qu'on n'a aucune compétence qu'on a rien à dire. Le jazz aussi vient de là, la rue. Et des disques de ces deux genres ont changé la face du monde.

Il faut de la motivation, des gens qui acceptent de vous accompagner, et un peu d'investissement, ne serait-ce que pour le matériel et le local. Le local, c'est le Graal. Puis il faut trouver sa voie. Le volume, la langue, l'attitude, la mouvance, voire les fringues. Se définir et s'identifier par rapport aux autres losers qui essaient de faire du rock (mais d'une autre catégorie) dans le local adjacent.

C'est là que ça devient intéressant. Parce que pour arriver à sortir du local, jouer sa première scène (de préférence devant un bar un 21 juin), il faut réussir à s'harmoniser, à trouver son son, ce qui fait que le groupe est unique. Même quand il ne s'agit que de reprises copiées-collées, il faut faire passer une personnalité. Le passage obligé, c'est lorsqu'il y a cohésion. Quand ça s'emboîte, chaque protagoniste à sa place, faisant partie d'un tout. Une entité capricieuse dont chacun est responsable, précisément au même instant t. Quand ça sonne et que le rendu est plaisant... je ne peux que comparer ça à un orgasme multiple.

Ce sont les meilleurs moments, autant pour les joueurs que pour les spectateurs. Même si ça arrive pendant le refrain de (I Can't Get No) Satisfaction.

A l'inverse, enregistrer un disque en studio est un véritable crève-coeur. Séparés, attendant des heures pour régler les micros et les amplis, jouant seul, reprenant vingt fois le même passage, se mettre tout nu devant une console aussi froide et déterminée que le HAL de 2001 l'Odyssée de l'espace, le groupe doit se faire humble. Accepté d'être aspiré de sa substance pour en faire un produit, un bout de plastique reproductible à l'infini (mais pas autant parce que bon, ça coûte, un pressage), des fichiers qui tiennent sur une clé USB. C'est un peu traumatisant. D'ailleurs je ne connais pas de musicien qui écoute son disque pour le plaisir. L'accouchement est trop douloureux, ce n'est pas moi, ce n'est pas nous, ce n'est pas notre groupe, c'est le résultat créé par le mix et le master. Personnellement, je préfère réécouter les répètes.

Voilà de quoi il est question dans Dies Irae, le double live de Noir Désir capturé lors de la tournée marathon de Tostaky, de ces moments avant le studio. Et je sais de quoi je parle, j'y étais. Après ça, après ce sommet (la descente de Noir Désir commencera juste après), mes potes et moi n'avions qu'une envie : monter un groupe. Vous voulez de la personnalité, une identité, une cohésion, de la puissance, de la voix tonnante ou frémissante, de la rage, de la reprise copiée-collée meilleure que l'originale, allez-y, servez-vous. Et bonne chance pour le 21 juin, parce que dompter le rock, c'est bien plus difficile que d'en faire.


vendredi 16 mars 2012

L'agneau tombe sur Broadway


Ca a débuté comme ça. Moi, j'avais jamais rien dit. Rien. C'était normal, en même temps, je ne connaissais rien, excepté ce qui passait à la radio, ce qui avait du succès dans les cafés, les bus scolaires, les boums. Rick Astley, U2, Madonna, Kylie, I Love To Love, Bananarama... Mais j'aimais bien Phil Collins. Et surtout, j'avais vraiment accroché à Mama, ce titre oppressant de Genesis, avec le rire démoniaque au milieu. Un single bien étrange. Oh bien sûr, il n'eut pas sur moi le même impact que le clip de Ashes To Ashes de Bowie, mais il me plaisait. J'aimais la batterie sur ce morceau. Un ami m'a expliqué que le chanteur était aussi le batteur, et qu'avant, c'était Peter Gabriel le chanteur de Genesis, tu sais l'album So avec le batteur de Police sur un titre, et donc oui, passe-moi Foxtrot, je suis curieux de les connaître avant Solsbury Hill et In the air tonight.

Ce fut l'engrenage, plus rien ne fut comme avant. J'étais devenu accro. A Genesis, à son Supper's Ready, à ses voix cristallines, à ses moments de rage, à sa batterie imaginative, à ses envolées instrumentales, à ses histoires étranges. Chaque chanson est un conte ou un poème, une fable, et toutes sont pleines de forêts, de fontaines, de demis-dieux, d'escargots, de thé, de boîtes à musique, de géants... Ca changeait des voyous auto-proclamés qui arboraient leurs badges de AC/DC ou de Scorpions, tirant la tronche de circonstance. Des titres qui n'hésitaient pas à durer plus de quatre minutes, qui ne faisaient pas de couplets-refrains, qui se moquaient d'être dans un moule, tu parles que ça m'a changé.

Le rock progressif de Genesis collait bien avec les jeux de rôles et les romans que je lisais à ce moment-là, ils étaient la bande-son de nos parties, illustrant autant l'héroïc-fantasy que le fantastique ou l'horreur. Mais bizarrement, les autres groupes classés dans cette catégorie ne sont jamais rentrés dans mon panthéon personnel (à part Can, peut-être, ce n'est pas encore certain). Car j'entrais dans une nouvelle lubie.

A cause du dernier album fait à cinq têtes, The Lamb Lies Down On Broadway, Genesis m'a ouvert la voie vers le rock tout court, celui des Doors, des Smiths et de Faith No More, ce fut l'engrenage de l'engrenage, une avalanche inexorable : me voilà aussi maudit que tous les autres qui, un jour, se sont rendus compte qu'ils avaient besoin d'écouter des disques quotidiennement sous peine de tomber malade.

Première écoute de The Lamb : hou il est bien celui-là, il va tourner longtemps, ah ah c'est super ! Sauf que vingt ans après cette première écoute qui me laissa dubitatif mais enchanté, il tourne toujours, je n'en ai pas fait le tour, il ne ressemble toujours à aucun des autres disques du groupe : sombre et urbain, aux titres courts et expérimentaux, racontant une seule histoire au fil des vingt-trois morceaux, histoire que je n'ai jamais vraiment comprise, et débarrassant Gabriel de costumes de renard ou de fleur pour avoir enfin l'air normal, celui d'un voyou avec un badge de AC/DC. Certains passages sont résolument teigneux, guitares saturées devant et batterie soutenue, tout comme d'autres qui viendront sur les albums suivants (comme Eleventh Earl Of Mar ou Dance On A Volcano). Peut-être bien qu'elle est là, la genèse du métal progressif. D'ailleurs, joué intégralement en concert comme sur le Archive 67-75, il sonne encore mieux.

Mon prof d'histoire de l'époque nous expliqua que la Terminale portait extrêmement mal son nom. Elle ne termine rien, mais lance la vraie étude, l'entrée dans la vie en tant que personne réfléchie. Il en est de même avec The Lamb. Il apprend que tous les genres de musique valent le coup, quels que soient la durée, le rythme, la langue, les instruments utilisés. Tant qu'ils racontent des histoires avec conviction et qu'on se donne la peine de les écouter.

P.S. Merci à Louis-Ferdinand Céline pour le début de cette chronique.