dimanche 15 décembre 2013

Harry Potter and the Deathly Hallows



J'admire la série de livres des Harry Potter pour plusieurs raisons. Je ne les ai pas découverts assez jeune, mais assez vieux pour me rendre compte qu'il ne s'agissait pas que d'une mode : ils sont bien écrits, assez agréables pour être dévorés (j'ai lu les quatre premiers tomes en un mois) mais évitent des effets de style immédiatement ringards ou promis à être recopiés par une ribambelle de suiveurs, ce qui est déjà une preuve de bon goût. Et puis au-delà d'un univers attirant qui doit beaucoup au Seigneur des Anneaux pour de nombreux détails (les pierres magiques, les Détraqueurs, Sauron Voldemort etc), le lecteur est en face d'une suite incroyablement cohérente. Chaque personnage a une histoire, ils font partie d'une famille qui a sa propre route, ses secrets, et tout s'imbrique. Chaque tome développait sans cesse une intrigue où on ne l'attendait pas, inventive, surprenante, loin des histoires habituelles. Evidemment, des personnages attachants, avec lesquels des vrais liens se créaient, presque réels. Vu le succès et le phénomène, personne ne s'est trompé et c'est, je crois, amplement mérité.

La série de films n'a bien sûr pas cette chance. Elle a beaucoup d'attraits cependant : tous les acteurs principaux sont Anglais pour ajouter au réalisme du monde au départ, tous ont vieilli au rythme des livres, les adaptations ont été suivies de près par l'auteure. Mais divers réalisateurs se succèdent, diverses équipes, et tout n'est pas intéressant ou au niveau des livres. C'est à partir du troisième que les choses sérieuses commencent. Il restera le meilleur de la série, mais après ça, quelques scènes restent à sauver, et l'intégralité de ce septième film.

Je n'avais pas trop accroché aux deux précédents films, réalisés par le même David Yates, mais la patience paie car sur ce septième long-métrage, tous les points forts sont présents pour enfin atteindre une relecture à la fois fidèle et réussie du dernier tome. La photo y est magnifique. Les décors époustouflants, nus, angoissants, froids. Les scènes s'enchaînent facilement et sans temps mort : les temps morts, ça n'existe pas dans la réalité. C'est l'ennui. Or l'ennui est le grand ennemi du Scooby-gang de Harry. Désormais adultes, ils sont rattrapés par la réalité, partout, comme dans le métro du sixième film. Loin de Poudlard et de son décor de marché de Noël, les voilà à affronter le vide sans guide, sans père, sans appui. De nombreuses scènes marquent fortement : la course-poursuite de début, le film d'animation, le casse du Ministère de la magie qui fait tant penser à Brazil, le duel dans le café, l'annihilation de l'horcruxe. C'est ce qu'il manquait à David Yates.

La forêt n'est plus fantasmée comme un endroit magique peuplé de centaures ou d'araignées géantes, mais comme un désert dangereux, habité par les pires prédateurs possibles : les partisans de l'autre camp. Un camp qui a de fortes réminiscences historiques, n'hésitant pas à torturer et parodier des jugements, qui éradique salement ceux qui ne seraient pas purs. Finies, les bièreàbeurres et les sorties nocturnes avec la carte du maraudeur. Fini le banquet final à la Astérix. Finie, la rigolade, fini, le bal de promo. Maintenant, on danse sur O Children de Nick Cave en pensant aux illusions perdues, à ses parents qui nous ont oublié. La liberté n'a pas de mode d'emploi.

Les livres ont cette force de transformer un univers de contes et de magie dans un conte tout court, avec morale et actes ignobles, avec un développement qui ne se perd pas, des personnages qui évoluent et grandissent comme leur lecteurs, et comme leurs acteurs. Une vraie école, à laquelle on aurait tous aimé appartenir.



vendredi 22 novembre 2013

Nick Cave & The Bad Seeds, Rockhal, Esch-sur-Alzette, 15/11/2013


Récemment des amies m'ont imaginé femme. J'aurais vingt-huit jours de règles par mois et Kim Gordon comme groupie. Cela m'a extrêmement flatté, mais pas seulement pour Kim Gordon : je n'aurais jamais imaginé qu'on puisse m'accepter dans un autre genre. Je ne ferais donc pas seulement partie de la catégorie des oppresseurs, je pourrais être une femme comme les autres. Et comme la plupart des filles que je côtoie, je serais amoureuse de Nick Cave.

L'homme le plus classe du monde après Bowie, cinquante-six ans au compteur, aura marqué le monde de son univers de cabaret remplis de freaks et de meurtriers, enrobé d'une voix grave et d'un physique de Corto Maltese. Le ténébreux, le corbeau ultime.

Ce soir à la Rockhal, la première partie est tenue par une fille sans artifice, qui chante magnifiquement dans des tonalités graves et pincées, entre Patti Smith et PJ Harvey, mais seulement accompagnée de son accordéon horizontal. C'est chouette mais ne colle pas du tout à la salle. Ce serait mieux dans un bar, un club. Elle part comme elle est arrivée, ayant réussi à déprimer un peu tout le monde, surtout qu'aucun jeune de moins de trente ans n'a semblé s'être déplacé pour les mauvaises graines. Ca me déprime encore plus.


Mais les Bad Seeds vont secouer tout ça. En gros, à chaque morceau, je me disais "Putain c'est magnifique". De We No Who U R à Push The Sky Away, tout le set revisite de vieux titres mélangés à ceux du dernier en date. Dès le second morceau, le superbe Jubilee Street, le groupe s'emballe et conclut la chanson telle qu'elle devrait être sur le disque : rageuse, progressivement en colère, explosive. Tupelo en troisième position : ok, on sait que tout sera bon, que la tension ne baissera jamais, que le spectacle sera au niveau, que la basse sera toujours menaçante, qu'on parle aux tripes. Aux fondements.

Au milieu de draps rouges de théâtre, rappelant Twin Peaks et son univers dérangeant, le groupe désormais privé de Blixa Bargeld et de Mick Harvey enchaîne parfaitement les ambiances, sait déraper comme se faire discret, soutenir son chanteur comme s'il s'agissait d'une diva de stade. Des pros. Des musiciens. Mais qui savent aussi ce qu'est le rock, et deviennent berserk, même avec un violon ou une mandoline électrique (ces deux derniers instruments étant joués par le nouveau bras droit de Nick 'Corto Maltese' Cave, Warren 'Raspoutine' Ellis).

The Mercy Seat puis Stagger Lee sont d'anthologie, Cave s'amuse avec les filles du premier rang, leur prend la main, les colle sur son coeur, tandis qu'il pleure presque sur le sort des personnages qu'il incarne, tandis que parfois le groupe imite les coups de feu, un quart d'heure de manège. Il saute, martyrise son piano droit, balance ses bras élastiques, prend des poses de surfeur, c'est un showman, un entertainer, un comédien, un humoriste, un prêcheur, un type normal qui parle au public en ami. Il charme tout le monde, capture la salle, otage. 



Push The Sky Away, dernier titre avant le rappel et dernier titre de l'album, rassemble la posture de Léo Ferré et du trip-hop minimaliste, c'est poignant, envoûtant et hypnotique ; jamais je n'aurai voulu faire une pause toilettes, et jamais je n'avais vu un groupe être à la fois aussi précis et autant honnête dans ses valeurs et sa personnalité. Car toute la tournée semble être du même acabit. Toujours intense, toujours parfait, toujours sincère.



Le rappel dure cinq titres, sans doute plus qu'à l'accoutumé, le patron semblant à l'aise et regardant ses compagnons avec les yeux interrogateurs alors que la salle crie les titres qu'elle aimerait entendre (ce sera The Weeping Song, si ça se trouve ils vont mettre en place le système de pancartes de Bruce Springsteen) et se termine, pour près de deux heures parfaites, sur une interprétation grandement punk de Jack The Ripper.

A l'image de la première partie, et comme le disait mon pote John 'Obi' Scandal, on aurait aimé voir ça dans une petite salle de cinq cent personnes, dans un club, dans un grand bar. C'aurait été encore mieux, il aurait pu m'offrir à boire en plus de me dédicacer une chanson. J'espère qu'il y aura un dvd de la tournée.

Raaaaah j'en veux encore !

lundi 11 novembre 2013

Metz, Exit 07, Luxembourg, 01/11/2013


L'Exit 07 est une petite salle. En fait c'est un bar spacieux sans tables qui serait localisé dans un hangar un peu à l'écart. Deux cents personnes et c'est plein à craquer quoi. C'est super, j'ai l'impression qu'on va être au milieu de la scène, que les gars vont jouer autour de nous. Ca annihile l'impression complètement fausse que ces types pourraient être différents ou spéciaux. Meilleurs, courageux, un peu fous, loin de chez eux, mais pas différents. Et ça marche pour beaucoup, mais pas pour les vrais fêlés genre Lou Reed.

Ce soir, c'est METZ, groupe de punk hardcore originaire du Canada, et qu'on a beaucoup comparé à Nirvana mais j'y reviendrai. Ca commence avec les Cheatas, un groupe de quatre Anglais qui font un revival shoegaze plein de pédales d'effet, mais qui n'a pas oublié de s'énerver par moments. On est loin des sons éthérés de Lush, et ça sonne vraiment pro, carré. J'aime bien. Ca m'étonne même, je pensais que plus personne ne faisait ce style de rock. Les cycles sans doute.

Et puis Metz, après une courte pause changement de set. Pourquoi Nirvana donc ? Déjà pour la formation : un (power) trio guitare-basse-batterie, avec un blondinet qui chante et tape sur sa guitare Jazzmaster, et un batteur qui arbore la même coupe que Dave Grohl en 1993. Mais il a beaucoup moins de fûts. En fait, il a le strict minimum en plus de la caisse claire, du charley et de la grosse caisse : une crash, une ride, un tom basse et un tom medium. De même pour les amplis. Un gros Orange de Fender, et un gros frigo pour la basse de marque inconnue. Ensuite, deux groupes signés par Sub Pop. Et puis, le dos de la pochette de leur album est une parodie du dos de la pochette de Bleach, le premier LP de Nirvana.

Nirvana


Metz


Enfin, un genre commun, le punk-rock. Basique, explosif. Sauf qu'en fait, avec ses petites lunettes et ses hurlements, le chanteur Alex Edkins me rappelle surtout le Steve Albini version Shellac. La musique et ses comparses confirment. Nous sommes en présence de la branche Black Flag du punk, au son modernisé, dense, rampant, qui lance de véritables déflagrations. Et ne cherche surtout pas la mélodie ou le blues que Nirvana s'appropriait, ce qui leur a valu d'être aimé de tous, de voir les fêlures de Kurt Cobain. Ici, seules comptent l'énergie et la simplicité. En moins de trois morceaux, tous seront trempés de sueur, Alex Edkins aura postillonné l'équivalent de deux seaux, le tout sans ligne de chant à laquelle se raccrocher. Uniquement le cri primal des Sex Pistols, mais maîtrisé depuis le son à la réalisation en passant par la présence scénique. Nous étions peu, mais tout le monde a rapidement eu envie de voir le phénomène de plus prêt ; malgré la timidité relative de ce genre de public, Metz mit directement les choses au clair : impossible de résister à l'appel de la pieuvre.



Pendant une heure et quart, le groupe alterne les assauts et les questions. Il nous demande si il faut rester sur place ou aller boire des bières ailleurs, si d'autres bars sont plus sympas, si on ne fête pas Halloween ("C'était hier mais vous avez raison de pas être déguisés, c'est de la merde, Halloween."), si on s'amuse, si on est contents de la première partie, que le prochain morceau est nouveau et qu'il n'a pas encore de titre, et qu'il y a des t-shirts en vente. Je n'aurai malheureusement pas le temps et le courage de les interpeller pour savoir s'ils avaient l'intention de visiter la ville de Metz, à soixante kilomètres de là, ou si d'ailleurs ils l'avaient déjà fait. Si ils suivent encore Shellac, ça viendra.

Ils concluent sur Wet Blanket, évidemment. La partie centrale du morceau se prêtant aisément à des expérimentations sonores, le groupe en profite pour larsener jusqu'à plus soif, se rouler par terre, jouer debout sur la grosse caisse alors même que le batteur Hayden Menzies continue à taper et que le bassiste Chris Slorach pogote tout seul. Mais il y aura un rappel : Neat Neat Neat de The Damned.

Tant de professionnalisme et d'efficacité me conforte dans mon opinion que le punk n'est pas aussi simple que sa réputation. Pour arriver à conduire cette carne sans difficulté alors qu'elle ne cherche qu'à s'échapper, le travail a dû être long. Cela s'entend même sur l'album. La seule inconnue, c'est l'évolution : deviendront-ils plus sophistiqués, perdant ainsi cette spontanéité si durement élaborée ? Ou continueront-ils à enlever des cordes de guitares, des têtes d'ampli ?


mardi 29 octobre 2013

Figure huit



Ce commentaire reprend deux brouillons de deux auteurs en herbe bien trop vieux pour remettre leurs shorts en jean et empoigner leurs basses.

Comme tout art majeur, le rock peut se draper de multiples costumes (et oui, j'aurai pu aussi dire "protéiforme" mais j'avais pas envie, ça faisait trop rock-critic), dont la chanson. Jacques Brel, c'est du rock. La preuve, Divine Comedy, Scott Walker et David Bowie l'ont repris ou lui ont rendu hommage, entre autres. Brel, Neil Hannon, Walker et Bowie ont plusieurs points communs, mais le plus flagrant à mes yeux est leur sens théâtral. Que l'on pourrait également accoler à une foule d'artistes : Genesis, Mr Bungle, Alice Cooper, Black Sabbath, Renaud, Zappa, Dresden Dolls, NTM etc, etc... D'autres en parlent souvent, comme The Police ici ou The Cure .

J'ai toujours été épaté par le talent de certains à jouer dans leurs clips, à faire plus que de faire la diva rock, même Freddy Mercury et toute sa bande sont bons dans leurs vidéos promos. Les artistes sont-ils tous polyvalents à ce point ? La comédie est-elle forcément complémentaire à la musique ? A-t-on coupé la scène de la bande-son depuis la fin des cabarets ?

J'ai découvert Elliott Smith trop tard. Un an avant que cet idiot ne se suicide (il paraît) ; ça va faire dix ans à peu de choses près que le petit père Elliott s'est foutu deux mortels coups de couteau dans le torse.

Je sais pas toi, mais moi, il continue à me manquer. C'est sûr que s'il était encore parmi nous, il pondrait encore des chansons définitives par paquet de douze, comme ça l'air de rien. Il aurait sorti son douzième album l'été dernier et ça aurait été l'évenement musical de l'année, et on se serait complètement fichu des sorties des nouveaux Bowie, Daft Bidule, Reznor, etc... (insérez ici les albums de l'année dont vous vous contrefoutez).

Parce que ce mec, il te chantait les malheurs du loser, de l'outsider comme personne d'autre, en y foutant par-dessus le vernis de beauté qui faisait que forcément le truc était imparable. Parce que Smith était un loser, un outsider comme moi. Et toi.

Elliott Smith me manque car c'était un ami. Il ne le savait pas, mais il est un de mes amis chers, dont je pleure encore la disparition. Alors que Kurt Cobain et Jeff Buckley n'ont jamais eu ce privilège. Trop charismatiques, trop défoncés, trop talentueux, trop iconiques. Elliott est un ami car il me ressemble, et tout ce qu'il a chanté le prouve.

Pourtant, une fois qu'on veut jouer du Elliott Smith, tout comme la chanson de variété de Michel Delpech qu'on trouvait naze à l'âge dix ans, on perd ses moyens. Il ne suffit pas d'aligner quatre accords ou quelques difficultés Led Zepeliniennes, c'est au-delà. C'est tordu, c'est nouveau, c'est non-conventionnel. Elliott était un auteur, compositeur et un interprète de qualité supérieure.

Figure 8  est mon premier Smith, et je n'avais rien entendu d'aussi mélodique et brillant depuis les Beatles et les Smiths. Il est tout simplement impossible de ne pas succomber à ces chansons, ni à celles de ses autres albums, tous beaux et bons, un peu différents les uns des autres, parfois dépouillés, parfois élaborés et foisonnant d'instruments, comme ici. Comme chez les Smiths, Elliott parle de l'intime, du vide, des peurs, mais de loin, se cachant derrière sa guitare virevoltante et ses harmonies irrésistibles, comme si au bout du compte, il pensait que tout ceci était une blague. Toutes ces saloperies d'insomnies, de parents absents, de boule serrée au fond du ventre et qui ne veut pas partir, Elliott Smith a décidé de les mettre en scène. Parce qu'Elliott, c'est un peu Bruce Springsteen qui aurait été timide. Au lieu de faire de la scène un appel à la communion, il transforme sa chambre en décor de théâtre et invite tout le monde. Avant d'avoir pu être un YouTuber, avant de pouvoir devenir la star mondiale qu'il méritait d'être. Il n'était pas une bête de scène comme Eminem ou Dave Grohl, et jamais il n'aurait pu avoir la prestance de Scott Walker ou de Brel. Mais il avait la poésie et le charme de Charlie Chaplin.

Tout va bien. On continue nos vies merdiques et personnellement, je persiste à raccourcir la mienne en fumant le plus le clopes possibles dans une journée, histoire de crever rapidos. Mais merci Elliott, tu auras rendu ma vie un peu plus supportable. Grâces te soient rendues.


Chro à quatre mains par Jy et Bubble.

vendredi 4 octobre 2013

En concert à Leeds


Depuis les débuts de mon addiction au rock et à la musique en général, une idée a toujours été tapie près de mes préférences, jamais totalement vraie mais très juste pour autant : je hais le rock américain. Pourtant je vénère des tonnes de groupes américains : Pixies, The Stooges, The Doors, Pavement, The Velvet Underground, The Strokes, Blondie, Television, Liars, Primus, The Smashing Pumpkins, Public Enemy, Sonic Youth, Elliott Smith, Hendrix, etc... Sans doute parce que ces groupes ne représentent pas le son du rock américain, celui des hippies et des joueurs de blues sirupeux, celui qui joue super bien et qui cumule les hymnes un peu faciles. Ce rock américain, je ne le supporte pas. J'aime certains de ses titres chez les Guns n' Roses ou Bon Jovi, par nostalgie, pour le fun, pour la fête. Même les très bons Pearl Jam et Alice In Chains ne m'émeuvent pas. Ils ont ce son enfouis dans leurs racines. Mes groupes américains préférés sonnent comme des Anglais.

Pas uniquement dans sa nationalité, mais dans son esprit : révolté, humoristique, exubérant, bruitiste. The Who, groupe formé dans les années 60, préfiguraient déjà les punks et le hard avec humour et bonne humeur. Le hard car les quatre voyous qui composent les Who tapent comme des sourds et que c'est leur batteur Keith Moon qui a trouvé le nom du premier groupe de rock lourd (heavy) : Led Zeppelin. Punk car ce sont des voyous, justement.

En atteste une anecdote relatée dans une réédition de The Who Sell Out. Alors qu'ils enregistrent à New-York, leur titre Rael I est quasi enregistré en une journée. Mais la femme de ménage qui s'occupe du studio jette la bande à la poubelle. Le lendemain, l'ingénieur du son découvre horrifié l'état de la bande : les quinze premières secondes sont inutilisables, il va falloir refaire les prises. Lorsque Pete Townshend, guitariste, compositeur, auteur et chef de gang arrive au studio, l'ingénieur le prend à part et tente de lui présenter les choses avec tact. Il conclut son laïus par la pire des banalités, "Ce sont des choses qui arrivent." Pete Townshend entre alors dans la salle de la console, attrape une chaise et la jette en travers de la vitre qui sépare la pièce du studio d'enregistrement, causant pour plus de 12 000 dollars de dégâts. Il se retourne vers l'ingénieur et lui dit "Désolé, ce sont des choses qui arrivent."

Comme le dit le chanteur du groupe Roger Daltrey, ils étaient juste des "scumbags". Des types qu'il valait mieux ne pas chercher, rageurs et excités, John Entwistle le bassiste étant surnommé The Ox (le boeuf) et Keith Moon, le batteur, ayant sûrement façonné le modèle du batteur du Muppet Show, condensant tous les clichés du rock'n'roll : alcoolisme, drogue, jets de télé, dévastation de chambres d'hôtels, de bagnoles, et chères en plus. La vengeance du prolétariat sur les riches, des sales gosses cassant tout, pour le plus grand bonheur de toute la population. La révolution hippie et sexuelle battait son plein, bref, c'était parfait.

The Who possèdent également l'alchimie unique qui fait qu'un groupe fonctionne. Ce ne sont pas de grands musiciens, mais ce sont d'immenses rockers. Townshend écrit des opéras-rock, Moon ne s'arrête jamais de fracasser ses batteries, qui plient toutes sous ses assauts, Entwistle martyrisent ses cordes et Daltrey se sert de son micro comme d'un lasso. Ils avaient tout, l'attitude, les mélodies, l'énergie ; des pionniers.

Ce Live at Leeds résume tout ce que j'aime chez eux. C'est un des disques que j'ai le plus écouté, et le seul que j'ai en trois exemplaires : en vinyle (avec six titres), en CD version 14 titres, et enfin la version Deluxe qui reprend la quasi intégralité de ce concert, qui a eu lieu dans le réfectoire de l'université de Leeds, devant environ deux mille personnes : les conditions idéales en somme. J'ai écouté leur pendant, le concert qui eut lieu à Hull sur la même tournée avec la même setlist ou presque : c'est moins bon. Mais il m'est difficile d'être objectif, le Leeds fait partie intégrante de ma personne (dans les hanches peut-être ?). Et chaque nouvelle édition était meilleure que la précédente.

Rapidement, l'écoute de Tommy n'a pas tenu la longueur. Mais repris en intégralité pendant ce set, avec simplement trois micros, une basse, une guitare et une batterie, il sonne dix fois mieux. Trois instruments, et vous jouez ce que vous voulez, de la musette, du blues, du rock, tout.

Et puis Pete Townshend raconte des histoires, présente les morceaux, rigole avec ses copains, et j'ai à chaque fois l'impression d'être devant eux, de toucher les riffs de basse et les roulements de batterie. Plus qu'un morceau d'histoire, c'est le meilleur cours de rock jamais donné.

lundi 23 septembre 2013

Le choc


L'année du bac fut remplie de disques. Ce qui est tout à fait normal, puisque entre l'éveil à la sexualité, les amitiés naissantes et le saut dans l'inconnu après quelques mois d'été, c'est l'heure du choix : être le nouveau petit requin ou s'entêter à ne pas grandir, profiter de toute opportunité ou se vêtir du costume de responsable. L'ouverture vers le monde et l'affirmation, la définition de soi, se décident souvent pendant cette période charnière. En tant que liant social, décréter quels groupes / genres / mouvements musicaux nous siéent le mieux s'avère donc primordial. Du coup on a écouté plein de disques avant et pendant le baccalauréat. Et encore plus après.

L'année précedente, nous découvriions The Police en profondeur. Là, ce fut The Clash, via un double best of assez complet. L'ingénuité de ces années me manque. Prêts à tout, nous n'étions pas endoctriné comme les fans de hard ou les fans de new-wave. Nous n'étions rien, ou d'anciens croyants en pleine mutation (les cheveux longs c'est has-been gros), et aucun mot ne nous faisait peur, pas même le mot punk. Il était temps de laisser tomber Dire Straits et Phil Collins, il était temps d'attraper une conscience, une ligne, une direction globale.

Contrairement à leurs précurseurs les Sex Pistols, The Clash offrent un positivisme constant, reprenant du reggae, écrivant des ponts aériens suspendus clairs et ne lésinant pas sur les choeurs. Et ce dès leur premier album, The Clash. Des punks joyeux et enragés, mais qui prennent position face à la misère sociale ambiante, bien loin du cri de rage primal des Sex Pistols.

The Clash voulaient une révolution, effacer les Stones et les Beatles du haut des podiums. De beaux idéalistes. Car même si ce premier album est parfait de bout en bout (et je vous conseille de vous fournir les deux versions, UK et US, car ce n'est pas moins de cinq titres supplémentaires qu'offre la version US, notamment le classique I Fought The Law. Ou alors trouvez-vous une bonne compile), le punk ne sera qu'une phase pour ces quatre londoniens. Basée sur les mêmes accords que leurs aînés, la révolution rock ne sera pas une transformation totale, plutôt une relecture, une mise à jour. Dès leur second album Give 'Em Enough Rope, The Clash étoffera son son, multipliera les genres, ce qui aboutira à leur incroyable double album London Calling, où se côtoient rockabilly, reggae, rock, pop.

Je ne m'en suis rendu compte que très tard, mais la basse de Paul Simonon a clairement influencé ma propre vision de cet instrument. Et jamais je ne me suis dit que ces types ne savaient pas jouer. Le punk n'était-il vraiment que joué par des ignares uniquement énervés et revendicatifs, simples étendards et postures de mode 1977 ? Avaient-ils réellement envie de tout détruire ou se faire une place au soleil avec une arnaque grosse comme ça ?

The Clash appartient à la grande portée des enfants de The Who (peut-être le premier vrai groupe punk, avant même The Stooges). Leur premier album reste leur plus beau : il s'agit du plus frais de leur carrière, croyant réellement à une révolution sociale et s'efforçant d'effacer les différences superficielles ; le reggae est elle aussi une musique de combat. Il évite la surenchère sonique du second, la perfection du troisième, le trop plein de leur quatrième et triple album. C'est l'album d'un groupe de garage, où il y a "cinq chanteurs mais un seul micro" (Garageland), la photographie d'une période où tout semblait possible. The Clash - l'album - sonne et sonnera toujours comme les grandes vacances entre le bac et la fac.



mercredi 24 juillet 2013

Neil Young, Rockhal (Luxembourg), 11/07/2013



20h. Le premier truc vraiment fou, c'est le monde qu'il y a. C'est blindé. Je crois pas avoir déjà vue la Rockhal aussi remplie. Y a surtout des vieux (enfin, des plus vieux que mes potes et moi), pas mal d'Allemands, quelques jeunes, plein de T-shirts trophées (Crosby Still Nash, Neil Young and Crazy Horse, j'ai même vu un Wilco), quelques gothiques ou presque. Passons sur le stand pizza et les bières à trois euros cinquante.

20h55, le concert commence. C'est un show, je comprends mieux le prix : l'infrastructure et le matos déployé sont dignes d'un concert de U2, mais en plus petit : deux écrans géants déguisés en écrans cathodiques de chaque côté de la scène, des faux amplis géants sur scène, des caméras partout avec un monteur qui envoie tout ça sur lesdits écrans, des lights impressionnants, et un petit spectacle sur scène alors que la bande son est A Day in The Life des Beatles. Les techniciens sont grimés en scientifiques, blouses blanches et barbes, et s'affairent à ouvrir les boîtes contenant les faux amplis (les fausses caisses d'ampli sont levées par des poulies en haut de la scène), un micro géant descend du ciel. C'est marrant, puis une fois que c'est fait et A Day in The Life finie, le drapeau luxembourgeois s'affiche au fond, et retentit l'hymne luxembourgeois (que je n'avais jamais entendu) tandis que tout le monde, y compris Neil et le Crazy Horse au complet, se mettent la main sur le coeur au garde-à-vous. C'est très drôle et j'aime beaucoup.

21h et des brouettes, le Crazy Horse attaque avec Love and Only Love, et je suis frappé par la scène qui ressemble tellement à celle du Weld.



Malgré son grand âge, Neil envoie le son à fond, tout comme ses comparses, et ils semblent ridicules au milieu de leurs énormes amplis, mais je trouve ça beau, autant de dévotion au rock et au gros bruit (mais le son est excellent et pas trop fort). Neil parle : "How are you doin ?".

22h, le groupe a fait quatre titres et approximativement 48 solos de guitares, la tristesse est palpable à chaque accord, on s'emmerde un peu, l'introduction joyeuse est oubliée. Le Loner et ses potes enchaînent deux accords plombés et lourds alors que la lumière se fait rare et que les ventilos de la scène projettent de plus en plus de trucs dans l'air. Neil martyrise ses guitares plus toutes jeunes (il n'en aura que trois et semblent très personnelles), joue avec les boutons de son ampli qui est caché derrière les faux et dans la salle on crève de chaud. Je suis content de ce morceau bruitiste au possible pour des types de cet âge, commence à applaudir quand un type assis par terre, un vieux très gros, me dit en luxembourgeois que c'est pas la peine d'applaudir 35 minutes de bruit. Je le regarde, il est en sueur et torse nu, son polo en travers des épaules. Sur scène, l'orage arrive - tout ce bruit singeait un orage - et soudainement, la pluie est projetée partout sur scène. L'effet est saisissant mais au moins un quart de la salle s'est vidée. On enchaîne sur un pur morceau de rock avant de laisser Neil seul à la guitare sèche et à l'harmonica.

Il chante Heart of Gold et tout le monde est content, mais la suivante Blowin in The Wind de Dylan ne m'émeut pas alors que j'adore ce titre. Puis c'est l'heure du piano bar, le Crazy horse revient pour faire les choeurs et la guitare sèche tandis que Neil fait son crooner au piano. Une fille très jeune, genre Suicide girl replète mais charmante, se balade sur scène et traîne son désenchantement avec sa housse de guitare toute blanche. Le morceau est superbe, Neil l'intimiste est arrivé, tout le monde est happé. C'est le meilleur moment du concert.

 

22h20, on recommence comme la première partie mais avec des morceaux plus courts, ça envoie sec, mais personne ne veut chanter "Fuck her" sur le long Fuckin Up. Le groupe s'en fout après trois minutes de tentatives et continue. Il conclut sur Hey Hey My My, ça assure, on en est au 117ème solo de guitare, tout le monde est fatigué. Neil reparle : "Thank you, bye".

23h10, les faux scientifiques reviennent pour refermer les amplis et faire en sorte qu'il y ait un rappel. Ils reviennent, Neil reparle et fout le cafard en disant que nous sommes tous des enfants, des parents, qu'on a des parents, qu'on doit faire attention en rentrant et qu'en gros ON VA TOUS MOURIR. Neil, sois sympa, c'est pas encore le week-end, merde. Deux titres en rappel dont le lumineux Everybody Knows This Is Nowhere que j'adore mais qui manque de patate. Il est 23h30, on a fait deux heures et demi de Neil Young qui a le syndrôme Dogville : bien mais trop long. Surtout que je mettrai 35 minutes pour sortir du parking tellement y a de monde et que personne ne laisse passer personne, c'est le chaos. Rentré très fatigué. Mais content quand même : j'ai vu Neil Young & The Crazy Horse.

Queen, le bilan


Je crois que c'est lors de ma seconde première année de fac que je décidai de me remettre à Queen. A cette époque bénie, j'avais perdu de vue mes amis - qui eux, avaient réussi leurs exams - et je dus ainsi m'en trouver d'autres, au moins pour la journée et les cours. C'était une période de libération, où je n'avais plus l'angoisse de la ville - qui n'est jamais accueillante pour les grands adolescents loin de chez eux - et où je rencontrai des tonnes de gens. Une période où je passais mon temps dans des appartements loués par des connaissances de connaissances, à des soirées auxquelles je n'avais jamais été convié mais où j'étais toujours accepté car j'arrivai avec untel.

Je faisais une nouvelle fois partie des derniers combattants de la soirée. Il devait être neuf heures du matin et j'avais très envie de me rentrer. Mais mon hôtesse ne voulait pas me voir partir. Pas que quoi ce soit se fut passé entre nous, simplement que j'étais le dernier rempart entre elle et le gros lourd qui la harcelait et ne voulait pas quitter la place. Tout ce qu'elle trouva à me dire fût "Mais non reste, je te remets la chanson que tu aimes bien, celle qui fait Mamma mia !". Elle remit le Greatest Hits I de Queen. 

J'avais oublié que cette chanson s'appelait Bohemian Rhapsody et que je l'aimais vraiment. J'avais oublié Queen, mais on avait beaucoup écouté le disque lors de la soirée, on avait bien ri. Comme je suis trop gentil, je restai jusqu'à dix heures du matin, avec un café, la tête près du poste, attendant ma libération.

N'ayant pas un budget conséquent, et ne pouvant pas non plus passer outre l'actualité musicale noisy du moment qui m'excitait bien plus que des disques des années 70, je m'offrai quand même rapidement A Night At The Opera et News Of The World. Je m'étais renseigné, c'étaient les disques à posséder. Je les écoutai beaucoup, mais entre le nouveau Frank Black, les Pavement, les My Bloody Valentine et Maceo Parker, je n'avais pas le temps nécessaire pour me consacrer à une discographie complète. Et puis je savais que je n'avais ni besoin de The Miracle ni de Radio Gaga.

Maintenant que j'ai tout écouté, y compris leurs deux doubles live (celui de 79 et celui de 86 à Wembley), je vois les choses différemment. Surtout car depuis, j'ai écouté encore plus de choses, ai compris bien des problèmes, ai changé. Queen est un grand groupe, qui porte bien haut le flambeau des groupes anglais qui comptent, malgré leur image, la haine qu'ils inspirent aux élites du bon goût, leurs millions de fans, leur prise de position homosexuelle. Je n'ai eu aucunement besoin de visionner des concerts ou de lire des articles (à l'exception d'une chronique sur leur site et de quelques-unes sur allmusic.com) pour comprendre combien ces types ont toujours fait ce qu'ils ont voulu. Que leurs concerts-spectacles ont plus de sens que chez leurs homologues qui étaient devenus trop gros : un concert des Stones ou de Led Zeppelin, ça doit se voir dans une salle de mille personnes.

Ils ont compris que le spectacle faisait partie intégrante de leur musique, que cette dimension ne pouvait pas être occultée. Leur reprocher leur démesure, c'est nier leur musique. Leur reprocher leur humour, alors que c'est une des caractéristiques de Frank Zappa qui plaît tant aux critiques de rock, c'est de la mauvaise foi. Queen n'a rien à envier aux monstres sacrés (Led Zep, The Beatles, The Who, The Rolling Stones), mais ils s'en foutent. Rien que pour ça, je les admire. Pour ça, mais aussi pour leur éclectisme, leurs fautes de goût assumées, leur désir de ne jamais rester sur place tout en étant unis du début jusqu'à la fin, sans scission, sans un ego bouffant l'autre. Et pourtant, entre Freddy Mercury et Brian May, il y avait de quoi remplir des pages de tabloïds. Mais non, ils ont juste continué à faire ce qui leur plaisait, à commencer par rester ensemble.

Je retiendrai quatre disques, dont trois indispensables à mes yeux : Sheer Heart Attack, A Night At The Opera, News Of The World et Jazz. On peut ajouter Innuendo pour sa tension et son témoignage, et beaucoup de titres des années 80 qui sont finalement très bien. Tous leurs albums en comportent au moins un ou deux, au minimum.

Mais ne cherchez pas trop Queen chez Muse. Ils ont inspiré bien plus de monde que cette pâle copie de concerts gigantesques, et ont même été repris par Nine Inch Nails. Trent Reznor, le mètre-étalon de l'Indus, étire les riffs de Get Down Make Love sur des samples de filles jouissant et conclut sur les deux accords de We Will Rock You : je ne vois pas meilleure conclusion pour saluer ce groupe.

Fabriqué au paradis


Après Innuendo, je ne voyais pas l'intérêt de continuer à tenter Queen. Je n'ai pas vu la sortie de ce disque ou m'y suis intéressé, je croyais sans doute que c'était un album solo posthume de Freddy. Bref, je découvre. La bonne nouvelle, c'est que le son est impeccable. Rien ne sonne kitsch ou daté, le travail est conséquent. Par contre on se retrouve en face de beaucoup de ballades, pas la partie que je préfère de Queen. Mais ça marche pour certains titres, l'émotion pointe partout (sauf You don't fool me qui est absolument insupportable). Le problème c'est que ce disque n'est pas cohérent tout en étant uniforme. Impossible de le cerner. Jusqu'à ce que je me rende compte qu'il ressemble un peu à leurs précédentes bandes originales de film, alternant quelques riffs heavy avec des gospels et des ballades plus ou moins réussies. C'est la bande-son du dessin animé Queen, leur vie, leur oeuvre, telle qu'ils ont décidé de l'illustrer. Innuendo reste le véritable dernier album de Queen, revoyant un peu les années 70. Made in heaven est un cd de bonus qui conclut leur période des années 80.





Innuendo



Je me souviens bien de la scène. C'est l'année du bac, j'ai dix-sept ans, je suis chez mon pote, sans doute un samedi après-midi, on glande. On mate la télé, et on tombe sur le clip de Innuendo, la chanson titre. Mon pote lance la conversation.

- Putain Queen... j'ai jamais aimé.
- Moi j'aime bien. Ca me rappelle Bohemian Rhapsody.
- Ouais bon pour un gars qui écoute Genesis ça m'étonne même pas.
- Franchement je trouve que c'est mieux que le dernier truc que j'ai écouté d'eux. Pis le clip est sympa, j'aime bien.
- Ah non j'aime pas.
- Pourquoi ? Tu trouves pas ça cool les marionnettes ?
- Bof. Plus j'y pense, plus je crois que pour les clips, y a pas mieux que le groupe qui joue.
- Ah ah, voilà bien une remarque d'ancien hardos...

J'avais pris de la bouteille, je n'étais pas encore à découvrir les nouveautés rock du moment mais j'avais découvert des tonnes de dinosaures essentiels, j'étais fan des Stooges, des Doors et de Led Zep, Queen n'était qu'un souvenir, y compris The Miracle qui n'avait que deux ans pourtant. Mais à ce moment-là, c'est long, très long, entre quinze et dix-sept. J'avais quand même décidé de l'écouter, et j'avais bien aimé. Mais il ne pouvait absolument pas m'intéresser.

Redécouvert aujourd'hui, il a toujours de nombreux défauts, à commencer par le son, qui est toujours daté, qui a toujours des synthés horribles (cet intro du Show must go on, j'y suis allergique), et un ou deux titres incongrus qui gâchent le tout (surtout Delilah). Par contre, l'âge a sans doute quelque chose à y voir, je comprends surtout que c'est la fin, que les clowns ne rigolent plus, et que la solidarité compte ici avant tout. Avoir accompagné Queen jusque là, c'est saisir la force qui lie ces types, c'est comprendre leur résignation et leur tristesse qu'ils avaient toujours cachée jusque là.

Ma fille a 9 ans et écoute de la daube, mais n'est-ce pas une nécessité à son âge ? Comme il est presque impossible de pleurer en écoutant Show Must Go On ou I'm going slightly mad adolescent, et de frissonner et chialer en écoutant des mêmes titres à 40 ans ? 

Dernier vrai album de Queen, c'est le retour de la pochette dessinée, la fin du groupe star, une sorte de mélange entre leurs compositions des années 70 et leur son des années 80. C'est une réussite mais elle est amère, trop émouvante, trop attendue et inéluctable. Innuendo porte intégralement une intensité propre aux disques faits dans des conditions compliquées, ceux qui laissent transparaître toute les terreurs de leurs auteurs.




Le miracle



Freddie sait qu'il a le SIDA et Brian May est en dépression après son divorce. Malgré la somme faramineuse qu'a dû leur rapporter A Kind Of Magic et la tournée qui s'en suivit, puis la publication du live à Wembley de 86, c'est donc pas la joie pour nos anciens combattants. Ils sont désormais une marque de fabrique, même si leurs Bohemian Rhapsody et We Will Rock You les avait déjà habitués à cet état de fait. Le monde entier connaît et vénère Queen, sauf les critiques rock.

Même moi puisque je subis régulièrement ces albums au club de kayak, par des amis fans, entre deux descentes. A l'époque je suis en pleine transformation, Genesis est entré dans ma vie. Du coup The Miracle ne paraît pas honteux.

Pendant trois morceaux, on retrouve le Queen de Sheer Heart Attack et A Night At The Opera : plein de vocaux et de choeurs, des morceaux enlevés et plutôt lourds, qui intègrent un peu de progressif. Mais avec le son qu'ils ont depuis Hot Space, plein de synthés (y compris pour la rythmique). Ca a vieilli. Au quatrième titre (I Want It All), ils refont un coup à la MTV et pondent encore un tube parfaitement insupportable. Et le reste est de la même veine (pourtant j'aime certaines mélodies et parties de guitare dans Breakthru et le dernier titre (Was It All Worth It) est bien sympa aussi). Mais ce son, c'est pas possible.

Je savais que j'allais être déçu.



Un peu de magie


Définitivement transformé en machine à synthés et tubes, Queen fait un album de chansons de film pour Highlander. Ca marche très bien pour quelques titres, les plus hard (One Vision, Gimme The Prize, Princes of the universe) et le chant de pub Friends Will Be Friends. Pour le reste c'est assez insupportable, mais ça reste presque plus écoutable que The Works. Quant à la pochette, c'est sans doute leur plus moche. La fin d'un groupe, sans doute désabusé, mais qui va remplir encore plus les stades et qui a réussi sa transformation en pleine période heavy listening hard FM.



Les travaux



Après s'être amusés à faire de la musique de film et de la dance, et ne pas avoir réussi à passionner le monde, retour au travail (The Works). Le travail des années 80, le capitalisme grandissant, bref, devenir adulte et performant, faire du tube. Alors Queen ne reviendra pas en arrière, continue à utiliser les synthés, mais pond des tubes et même une chanson politique (Hammer To Fall). Du coup Radio Gaga et I Want To Break Free ne sont pas de mauvais morceaux, mais leur prod est datée et vieillit mal. Voilà pourquoi ces titres sont quasi insupportables alors qu'en fait, ce sont de bonnes chansons. Et puis ce clip de I want to break free, c'est vraiment drôle.

Sauf qu'à part ça, c'est pas très marrant. C'est plutôt cynique (cf. Is This The World We Created ?). Ca me fait un peu penser à U2 (autre groupe massivement populaire qui, il faut le noter, n'a jamais changé de line-up, tout comme Queen) lors de Pop : après Zooropa (pourtant réussi), retour au grand public. Hot Space est le Zooropa de Queen, The Works leur Pop. Pile daté à sa sortie, mais pas vraiment pérenne. C'est moche de vieillir, surtout pour un rocker (cf. la pochette).



Espace chaud



Queen est vraiment un grand groupe. Même lorsqu'il s'agit de suivre un mouvement à la mode foireux, ils le suivent super bien. Débarquement des synthés, y compris pour la rythmique, de la pop pour boîte de nuit qui n'a rien à voir (mais rien) avec ce qu'ils avaient fait jusque là. Heureusement qu'ils ont ajouté Under Pressure à la dernière minute. Ca c'est une chanson qu'elle est bien, et marquante, et tubesque. La voix de Bowie se marie parfaitement à celle de Mercury et je la trouve encore plus émouvante depuis que je sais qu'elle parle de la pression sociale portée sur les homos.

Mais à part ça, rien à sauver. En même temps la pochette ne laissait pas de doute possible.



Flash Gordon



Flash Gordon, pour moi, c'est un film que j'ai adoré, gamin, puis étudiant, quand je me suis rendu compte que c'était nul, kitsch, drôle. Faudrait que je le revoie. Mais je me souviens de mon père me parlant de la musique de Queen en m'emmenant voir ce film, et je confonds peut-être, mais il y avait aussi du Queen dans Bandits Bandits (Time Bandits) de Terry Gilliam que j'avais adoré aussi. Je me souviens être arrivé en retard à la séance pour ce dernier. 

Et puis plus tard, c'est surtout devenu un sample d'un de mes albums favoris, celui du second Public Enemy (It Takes A Nation Of Millions To Hold Us Back, sur Terminator X to the Edge of Panic).

Conçu en même temps que The Game, ils s'amusaient vraiment comme des fous à cette époque. C'est une vraie BO avec deux titres chantés et assez tubesques, voire meilleurs que les titres de The Game, pour le reste, c'est un travail différent et intéressant sur lequel ils se sont penchés. Mais le résultat n'est pas assez ludique pour l'auditeur, les extraits de dialogues sont marrants mais ça ne fait pas une bande-son ou un album. C'est uniquement fait pour le film. Du coup son écoute est assez ennuyeuse voire contraignante. Mais comme d'habitude, je suis épaté par leurs compétences et ouverture d'esprit.



Le jeu



Ca a beau s'appeler The Game, on ne s'amuse pas beaucoup. Fini de rigoler. Pas pour Queen qui s'amusent comme des petits fous et écrivent un magnifique disco minimaliste avec Another One Bites The Dust, refont un revival 50's, et comme d'habitude mélangent un peu tous les genres. Mais à l'image de l'horrible pochette, ça aurait dû rester une blague, un album de reprises d'Elvis, des morceaux pour s'éclater en répète ou en studio, un souvenir perso. Au lieu de ça ils filent ça à la terre entière qui les porte au pinacle, surtout aux Etats-Unis, qui comprend enfin un album de Queen. 

Car c'est simple, voire simplet. La complexité a complètement disparu, et même si c'est très pro et très bien fait, même si il n'y a objectivement pas de mauvais morceau sur ce disque, cela n'a plus grand chose à voir avec du rock. C'est de la variété. C'est un peu comme le dernier album de Police, qui est de très bonne facture mais qui ouvrait la voie à une musique de stade et de radio grand public. Même leur hymne qui clôt l'album (Save Me) n'a pas le panache de leur compositions passées.

Et puis comme pour beaucoup, c'est l'arrivée des synthés. Les années 80 quoi. Kiki le kiki de tous les kikis, Licence IV, Naf-Naf, Billy Ocean, Madonna, le fluo, MTV, Dire Straits, les clips tape à l'oeil, l'informatique graphique balbutiante, Bananarama, le Minitel, Jump, Les maîtres de l'univers, Footlose. Vers un univers coloré manquant cruellement de fond.