lundi 23 septembre 2013

Le choc


L'année du bac fut remplie de disques. Ce qui est tout à fait normal, puisque entre l'éveil à la sexualité, les amitiés naissantes et le saut dans l'inconnu après quelques mois d'été, c'est l'heure du choix : être le nouveau petit requin ou s'entêter à ne pas grandir, profiter de toute opportunité ou se vêtir du costume de responsable. L'ouverture vers le monde et l'affirmation, la définition de soi, se décident souvent pendant cette période charnière. En tant que liant social, décréter quels groupes / genres / mouvements musicaux nous siéent le mieux s'avère donc primordial. Du coup on a écouté plein de disques avant et pendant le baccalauréat. Et encore plus après.

L'année précedente, nous découvriions The Police en profondeur. Là, ce fut The Clash, via un double best of assez complet. L'ingénuité de ces années me manque. Prêts à tout, nous n'étions pas endoctriné comme les fans de hard ou les fans de new-wave. Nous n'étions rien, ou d'anciens croyants en pleine mutation (les cheveux longs c'est has-been gros), et aucun mot ne nous faisait peur, pas même le mot punk. Il était temps de laisser tomber Dire Straits et Phil Collins, il était temps d'attraper une conscience, une ligne, une direction globale.

Contrairement à leurs précurseurs les Sex Pistols, The Clash offrent un positivisme constant, reprenant du reggae, écrivant des ponts aériens suspendus clairs et ne lésinant pas sur les choeurs. Et ce dès leur premier album, The Clash. Des punks joyeux et enragés, mais qui prennent position face à la misère sociale ambiante, bien loin du cri de rage primal des Sex Pistols.

The Clash voulaient une révolution, effacer les Stones et les Beatles du haut des podiums. De beaux idéalistes. Car même si ce premier album est parfait de bout en bout (et je vous conseille de vous fournir les deux versions, UK et US, car ce n'est pas moins de cinq titres supplémentaires qu'offre la version US, notamment le classique I Fought The Law. Ou alors trouvez-vous une bonne compile), le punk ne sera qu'une phase pour ces quatre londoniens. Basée sur les mêmes accords que leurs aînés, la révolution rock ne sera pas une transformation totale, plutôt une relecture, une mise à jour. Dès leur second album Give 'Em Enough Rope, The Clash étoffera son son, multipliera les genres, ce qui aboutira à leur incroyable double album London Calling, où se côtoient rockabilly, reggae, rock, pop.

Je ne m'en suis rendu compte que très tard, mais la basse de Paul Simonon a clairement influencé ma propre vision de cet instrument. Et jamais je ne me suis dit que ces types ne savaient pas jouer. Le punk n'était-il vraiment que joué par des ignares uniquement énervés et revendicatifs, simples étendards et postures de mode 1977 ? Avaient-ils réellement envie de tout détruire ou se faire une place au soleil avec une arnaque grosse comme ça ?

The Clash appartient à la grande portée des enfants de The Who (peut-être le premier vrai groupe punk, avant même The Stooges). Leur premier album reste leur plus beau : il s'agit du plus frais de leur carrière, croyant réellement à une révolution sociale et s'efforçant d'effacer les différences superficielles ; le reggae est elle aussi une musique de combat. Il évite la surenchère sonique du second, la perfection du troisième, le trop plein de leur quatrième et triple album. C'est l'album d'un groupe de garage, où il y a "cinq chanteurs mais un seul micro" (Garageland), la photographie d'une période où tout semblait possible. The Clash - l'album - sonne et sonnera toujours comme les grandes vacances entre le bac et la fac.