mardi 14 avril 2015

Un nouveau jour se lève


Mon monde a changé. J'ai beau me considérer mélomane, j'ai et aurai sans doute toujours un manque complet de culture sur certains types de musique (la cubaine par exemple). C'est embarrassant, mais comme me le faisait remarquer un ami, avec l'âge, c'en est un peu fini, de l'éclectisme. On se connaît mieux soi-même, on sait ce qui nous plaît le plus, on cherche finalement des déclinaisons heureuses de nos goûts.

Cela doit faire maintenant dix ans que je ne suis plus l'actualité musicale comme avant. J'ai laissé tomber, j'ai eu du mal à tenir à l'évolution, celle venue de YouTube, des sites musicaux où l'on trouve des concerts privés, celle des blogs, des fournisseurs de streaming. Du coup je me suis perdu. Du coup, je me suis tourné vers le passé, celui que je ne connais pas, et j'écoute maintenant essentiellement des intégrales. Désormais, enfin, il est possible de découvrir un artiste autrement que par ses seuls singles, enfin on peut trouver des albums rares dont on nous rabâche les oreilles depuis toujours, enfin il est possible de découvrir des artistes inconnus via les conseils algorithmés de Deezer ou Lastfm. On fait même des découvertes ahurissantes, comme l'album OphiciusDu coup, l'actualité n'a plus autant d'attraits.

Et puis surtout, le temps des critiques rock omnipotents, gardiens du bon goût, assassins vicieux et crypto-attachés de presse de maisons de disque aussi dirigistes que vénales, est terminé. Enfin, on peut se faire sa propre opinion, enfin on trouve des passionnés à qui la parole est offerte, enfin les petits groupes peuvent diffuser leur musique sans passer par un intermédiaire. Steve Albini en parle bien mieux que moi.

Ca évitera de louper des trucs. Je pense par exemple à Divine Comedy. Pendant des mois, les Inrocks version radio n'ont passé que la chanson Europop tirée du premier album du groupe de Neil Hannon. Ce truc sorti des années 80 me semblait bien trop à la mode, mis en avant par une bande de nostalgiques des années cold-wave synthés, j'ai donc passé mon tour. Alors qu'en fait, ce titre n'est absolument pas représentatif du disque. Résultat, des mois de perdus.

Et avec Hüsker Dü, ces mois devinrent des années. Fan de Sugar depuis les débuts, et comme les Pixies restent pour moi le groupe de référence, il était temps que je découvre leur réelle inspiration, il fallait que je me penche sur les autres œuvres de Bob Mouldancien chanteur-guitariste-compositeur de Hüsker Dü. Hüsker Dü, c'est une légende, c'est la base d'un large pourcentage de ma musique favorite : le punk mélodique. Mais c'est aussi un groupe peu vendeur après sa séparation, les disques ne sont pas faciles à trouver, ou à un prix bien élevé... Que me dit la critique ? Qu'il faut écouter Zen Arcade, double album, double chef d'oeuvre. Sauf que Zen Arcade ne m'accroche pas. Le son, évidemment, n'est pas à la fête - ce sont les années 80 et le punk pense encore devoir être au rabais -, les titres varient entre l'original, le bon et l'accessoire, et cela se termine par quatorze minutes de bruit, un peu répétitif, un peu vain. Je les oublie.

Avec le récent retour de Bob Mould, qui décide de renouer avec le popcore, cette pop rapide et vitaminée, mélange de punk et de chansons enjouées, cette power-pop qui trouve sa base chez Big Star, ma curiosité sur ce groupe revint à la charge. Il faut dire que le bonhomme fait une tournée qui passe par chez moi et a décidé de mettre dans sa setlist des titres de ses anciennes formations pour obtenir un mélange condensé de son oeuvre.

C'est New Day Rising qui déclencha ce que j'avais loupé auparavant. Où l'on apprend comment écorcher un chat, à célébrer l'été, au droit de fantasmer sur la fille de la colline (en réalité une marque de vodka bue par une amie cancéreuse de Grant Hart, batteur et autre compositeur / chanteur du groupe), à celui de lire des livres sur les soucoupes volantes. Beaucoup plus concis que Zen Arcade, moins expérimental mais plus abouti, il va à l'essentiel sans pause ou presque.

Alors que Zen Arcade multipliait les pistes, ici tout est digéré : la guitare acoustique comme les parties de piano entrent naturellement dans les compositions, plus complexes que le punk de course automobile Nascar des débuts mais toujours rapide et parfois martial (New Day Rising, la chanson). La volonté de faire des disques studios identiques aux concerts est dépassée, le groupe comprend qu'il peut complexifier sa musique tout en restant intègre à son discours. Le son est meilleur mais malgré tout la production n'est pas encore à la hauteur des compositions. Pourtant c'est un disque d'un seul bloc, sans fausse note, à l'identité unique.

Et puis il y a un titre magique, Celebrated Summer. En quatre minutes, tous les étés qui sonnent encore comme des vacances scolaires sont résumés, avec l'hiver très adulte qui pointe lors du pont, étrangement acoustique et calme. Quiet / Loud, la recette des Pixies et de Nirvana... Même s'ils avaient trouvé la bonne formule avec ce New Day Rising, les membres d'Hüsker Dü avaient compris que le rock devait rester adolescent. Ce qui manque cruellement de nos jours, tant le rock sonne adulte, ennuyeux, raisonnable, professionnel. Je vais encore attendre quelques étés avant de me mettre à Alt-J je crois.