mardi 2 juin 2015

Rock im Revier


Ce week-end, je n'ai pas pu voir un groupe de dessinateurs qui jouent aux rock-stars. C'est dommage car c'était à Annecy et qu'il y faisait beau. Mais bon, on ne peut pas être partout, et le festival Rock im Revier était bien plus loin, en Allemagne, près de Dortmund.

Exactement, il a pris place dans le stade du club de football allemand Schalke 04 - et c'est un sacré grand stade. Tellement grand qu'en fait il était très malaisé de circuler entre la fosse (où la pelouse avait été retirée) et les gradins, car la sécurité était limite intimidante et le stade multiplie les portes et les entrées. La première fois, pas simple de s'y retrouver, surtout que les stades, je n'y vais jamais.




Côté organisation, c'est un mélange de réussite et d'organisation parfois aléatoire. Par contre au niveau de la logistique, c'est sûr : nous ne mourrons pas de faim ni de bière. Je vous conseille personnellement les schnitzels : de la dinde panée dans du pain, accompagnée de moutarde douce, c'est un délice. Et bien meilleur que toute la bouffe de festival que j'aie pu voir jusqu'à maintenant. Les saucisses pareil. Les concerts, ça dépend, surtout que je suis loin d'en avoir vu beaucoup.

Cependant, une constante, puisque je n'ai pas quitté le Big Stage et n'ai rien vu des autres scènes : tous les groupes sont pros. Les changements de plateau sont rapides, le son est bon, et je n'ai vu aucun réel problème. Les horaires sont respectés. On est face à des types qui ont bourlingué, à l'image du batteur de Incubus qui a la photo de sa femme et de ses mômes accrochée au pied du charley : il est au bureau.

Within Temptation font du métal symphonique avec une chanteuse pulpeuse type viking entourée de vikings qui jouent de la guitare. Faut aimer. Et puis les flammes sur scène c'est surfait, même Metallica n'en mettent plus.




Triggerfinger est un power trio belge de types sans cheveux ou alors complètement blancs. Je n'ai vu que les vingt dernières minutes du concert mais bon sang ça envoyait. Et ça montait sur les amplis, ça dansait, ça faisait du garage et chantait comme des crooners. Pas convaincu par les tours classiques pour faire participer le public, mais c'était rôdé et généreux, pas de tromperie dans la marchandise, du rock graisseux parfaitement exécuté.




Bonaparte se compose d'un chanteur guitariste, d'une guitariste, d'une bassiste-clavier, d'une batteuse et de deux danseuses. Je n'en avais jamais entendu parler. Musicalement, c'est un peu à la mode du retour de la new-wave, ça sonne années 80, on pense un peu à Talking Heads mais en beaucoup (beaucoup) moins bon. Ca ne m'a pas du tout parlé pourtant. Il faut dire que le vrai spectacle était les danseuses qui changent de costume à chaque titre - costumes souvent étonnants par ailleurs -, ouvrent des bouteilles de champagne sur leurs poitrines nues et prennent toute la place sur scène. C'était étrange mais assez fascinant.


The Hives avait la meilleure décoration sur scène. La tête géante aux yeux rouges qui joue au marionnettiste, bandes réelles aux bout des doigts, ça fait son effet. Et puis on ne s'ennuie pas avec la vidéo, comme ça. Et puis, leur roadies sont déguisés en ninjas, discrétion d'abord. Ca m'a bien fait rire personnellement. Toujours classes, les Suédois n'ont pas failli, mais leurs titres se ressemblent trop pour être toujours attirants. Les anciens fonctionnent bien par contre, et ce serait bien si ils parlaient moins entre les morceaux. Comme Triggerfinger, les vieux trucs de rocker style "Are you readyyy ???" me fatiguent de plus en plus.





J'avais déjà vu Incubus dans un autre festival, il y a une dizaine d'années, et cela n'a pas trop changé, finalement. Toujours pénible et ennuyeux, voire plus. Car les années basse funky, c'est fini. Le bassiste est un hipster (casquette, barbe, sweat à capuche sur la casquette), le chanteur fait son Jésus et n'hésite pas à lancer des regards hallucinés lorsqu'il joue du djembé (tout est dit non ?), le guitariste n'a plus son bandana de Mark Knopfler mais chacun a son tapis tressé à la main et le DJ a des dreads de deux mètres (ou presque). Le tout fait de la variété planante, mais malgré les parties un peu lyriques, ça ne décolle pas. Pourtant ils ont des fans. Alors oui ils sont techniquement très bons (le batteur, c'est un plaisir à entendre), mais ça ne suffit pas à faire de la bonne musique, ni même un bon concert. La preuve ultime, c'est l'utilisation de la vidéo, qui fait défiler les économiseurs d'écran de Windows 95 non stop.




Muse n'ont pas été généreux : tête d'affiche largement méritée, ils n'ont joué que une heure trente, pause (courte) comprise. A part ça, ils accumulent les superlatifs, le bon goût, un professionnalisme impressionnant et une ambiance autant électrique que joyeuse. La setlist (cliquez sur le nom du groupe) prouve également qu'ils ne regardent pas en arrière, ils ont bien quelques vieux tubes, mais la première place revient aux derniers albums. Loin devant les autres groupes, l'utilisation de la vidéo fait partie intégrante du spectacle, qui essaie de délivrer un parti-pris sans doute alter-mondialiste (je n'ai pas trop cherché à comprendre, on a droit à un extrait discours de JFK notamment), les titres s'enchaînent sans problème, tout va de soi tant les quatre musiciens (ils ont un clavier en renfort) maîtrisent complètement leurs instruments. Prenant la moitié de la scène si on ne compte pas le piano à queue transparent sur lequel des lumières s'allument au rythme du pianiste qui en joue, le groupe est soudé et s'amuse clairement. Ce qui est impressionnant tant ils ne font aucune erreur, se connaissent assez pour ne jamais perdre le fil des solos de guitare de Matthew Bellamy et produisent assez d'énergie pour happer le stade entier. Ils reprennent, à l'instar de Metallica, Il était une fois dans l'ouest en introduction d'un titre rageur, naviguent entre progressif et pop sans être grandiloquents. Moi qui déteste les groupes qui se cachent derrière un abus d'effets pyrotechniques ou des artifices, chez eux, ça passe. Il n'y a pas vraiment d'abus, puisqu'ils ne lancent que des milliers de cotillons à la fin d'un titre, puis des ballons noirs géants en fin de concert. Ils le faisaient déjà il y a dix ans, et déjà cela renforçait l'entente avec le public. Des équilibristes que l'on ne peut que saluer avec déférence : à la fois groupe de scène, groupe de spectacle, groupe intègre et musiciens accomplis.








Faith No More ont un problème. En 2009, lorsqu'ils sont revenus sur scène, ils étaient tête d'affiche, n'avaient pas de nouveaux titres, mais le temps de faire ce qu'ils voulaient. En 2015, avec un excellent nouvel album, ils se retrouvent en festival avant Metallica, n'ayant qu'une heure et quart pour jouer devant un public qui ne vient pas forcément les voir. Résultat, seuls quatre nouveaux titres au milieu de classiques que certains fans sont parfois fatigués d'entendre, mais qui fonctionnent mieux pour ceux qui ne les connaissent pas. Cependant, ils ne souffrent d'aucune faute de goût, ayant toujours cet humour décalé, la scène remplie de fleurs, arborant des colliers colorés et des costumes blancs pour une musique variée entre métal, soul et structures complexes. Aligner l'anxiogène Separation Anxiety après leur reprise soul de Easy (qui parle d'un homme qui va quitter sa copine) semble logique chez Faith No More, groupe qui défie les classifications et la définition même de rock. Ils furent parfaits, comme d'habitude, et la voix de Mike Patton reste la plus incroyable à entendre.





Metallica fut la grande surprise. Car ce n'est pas un groupe que j'apprécie forcément, leurs albums étant fatigants : ils ont vieilli, ils sont trop rapides et aigus, ils n'ont pas toujours réussi à être équilibrés. Mais c'est un groupe de légende, qui a révolutionné le métal, qui a écrit des classiques instantanés, qui a une longue carrière et a rempli tous les critères du folklore rock : drogue, morts, scissions entre membres, discours réactionnaire, succès phénoménal, icônes têtes à claques, concerts gigantesques, chiffres de vente vertigineux, riffs indémodables. Je craignais de voir une machine sans âme, qui allait aligner les tubes avec quelques surprises, qui jouerait en pilotage automatique. J'avais tout faux. J'ai vu un vrai groupe, certes vieillissant et par moments fatigué, mais qui a joué deux heures et quart sans sourciller ni dédaigner son public. Au contraire, une centaine de fans - voire deux cent, ayant sans doute payé le prix fort des places VIP - se trouvait sur scène, derrière le groupe, tout le long du concert. La scène était minimale : la batterie la moins surélevée du festival, cinq micros sortis des années 60 (placés à divers endroits, ils permettent à James Hetfield de se montrer à tous les angles de la salle), et aucun ampli. Craignant un déluge pyrotechnique, je n'ai eu droit qu'à quelques stroboscopes sur l'intro de One et une scène de Le bon, la brute et le truand (celle où Tuco court dans le cimetière, musique de Ennio Morricone, titre The Ecstasy of Gold) avant le début du concert. Pour le reste, un groupe qui s'amuse, qui parle avec le public, qui présente ses morceaux, qui mélange l'inédit en live avec des classiques de son premier album, qui s'affale sur ses fans et qui joue vite et bien. Et puis, nous avons eu une chance inouïe : de peur de l'afflux de personnes sur le devant de la scène, la salle était coupée depuis la fin du concert précédent sans possibilité de traverser dans un sens comme dans l'autre. Nous étions bloqués devant, mais sans être pressés par la foule. Une foule venue essentiellement pour eux, et qui a été ravie, dans tous les sens, par ces vieux rockers reconnaissants. Quoiqu'on pense de Metallica, tout le monde les connaît, eux et leurs chansons. Alors, lorsqu'ils jouent ainsi, la joie partagée domine.











Crédits photos : Toutes les vidéos, les photos de Metallica, Faith No More, Muse, Within Temptation et la seconde de The Hives sont personnelles. Les autres ont été trouvées sur le site du Club de Schalke 04, le site de Rolling Stones DE et sur un blog.